lundi 22 avril 2013

1° prix du concours interne niveau prépas : Je n'ai jamais rendu copie blanche et je crois que je ne pourrai jamais de Louise BELIAEFF K1




Dernière hésitation, dernière inspiration, et je pousse la porte. La lumière froide des néons m’aveugle. J’arrive toujours en avance pour choisir ma place. J’aime bien avoir une vue d’ensemble, pouvoir observer ceux qui sèchent, qui rêvent, qui tremblent de la jambe ou ceux qui passent leur temps à manger.
J’entre, en évitant le plus possible le regard des quelques silhouettes matinales. J’attends le dernier moment avant d’éteindre mon Ipod qui, comme avant chaque épreuve importante, rabâche The Show Must Go On. Stupide superstition. Enfin, je m’ouvre à la société. Je dis bonjour, je souris, je me plains et je dégaine l’artillerie lourde : un paquet de copies doubles, des feuilles de brouillon, des stylos multiples, une boîte de Zenalia, 2 cartouches et bien sûr le carburant : des gâteaux et de l’eau. Si j’oublie le carburant, mon ventre interprète un concerto six heures durant. Ça déconcentre.
Le samedi matin, c’est dur de se lever. Je pèse mes mots. C’est assez cruel même. Quand d’autres rentrent de soirées ivres morts, vous, vous luttez pour réveiller vos neurones. Vous, vous allez vous asseoir pour disserter sur un sujet qui ne vous inspire pas forcément.
Monsieur C, notre professeur de philosophie, arrive à 8h10. Il sent fort le sommeil et en observant bien, on peut même percevoir l’emprunte que son oreiller a creusé sur sa joue. Parfois je me surprends à rêver qu’en observant nos têtes fatiguées, Monsieur C nous propose de rentrer dormir. C’est idiot.
Non. Il prend une craie et dessine quelque chose au tableau. On dirait des lettres. Ah, il semblerait que cela soit une question.
Le sujet est tombé : « Doit-on ralentir ? ». Après le rituel du lancer de regards effarouchés, des signes de têtes tranchées et des rires nerveux, quelque chose de frappant opère. En l’espace de 2 minutes, tout le monde s’est isolé, tout le monde est rentré dans sa bulle et la solidarité s’est évaporée.
Ce matin, les élèves griffonnent tous sur leur brouillon. Il y a ceux qui écrivent la tête penchée à 2 centimètres au dessus de la feuille, ceux qui prennent un air détaché et qui remplissent des pages et des pages en gribouillant trois phrases proches des hiéroglyphes sur chaque feuille et ceux qui attaquent à grands coups de stabilos. Tout le monde griffonne, sauf moi. J’observe le sujet intensément comme s’il y avait quelque chose à décoder, comme si je me trouvais dans une galerie chic devant une œuvre d’art contemporaine. Queen bourdonne inlassablement dans mon cerveau. Je vois même Nietzsche chanter à la manière de Freddy Mercury, Platon jouer de la guitare électrique et Descartes s’acharnant sur une batterie. Tout se mélange. J’aurais sûrement dû écouter les conseils de ma mère et de monsieur C et me coucher tôt. Mais comme j’ai l’impression de ne rien savoir la veille d’un DS, je me couche fatalement encore plus tard que d’habitude.
Ca m’arrive de sécher quelques minutes face à un sujet. Mais aujourd’hui, 45 minutes se sont écoulées et je n’ai pas encore écrit un mot sur mon brouillon. Ma voisine me jette des petits regards de compassion qui prennent des airs de pitié.
Je n’ai jamais rendu copie blanche et je crois que je ne pourrai jamais le faire. Autant rester sous sa couette dormir. Je décide d’aller m’aérer aux toilettes. Je n’ouvre jamais le bal des toilettes d’habitude. Je ne comprends pas les gens qui se rendent aux toilettes 5 fois par dissertation. Ça m’échappe. Ils dérangent toute une rangée, et bien souvent, ce sont ceux qui essaient d’être le plus discrets qui attirent le plus l’attention. Il y a presque toujours le maladroit de service qui renverse une trousse ou pire, un thermos. Et là, c’est le drame. Il y a celles qui mettent des talons bien bruyants et qui chaloupent en cadence en marquant ainsi le tempo du bal des toilettes. Finalement, le devoir du samedi matin est un vrai spectacle.
Après mon petit tour dans les couloirs du lycée, j’ai l’impression d’avoir mis en veilleuse mon juke-box intérieur. Je me rassois et décapuchonne mon stylo. On progresse. La pendule du lycée me nargue et je la provoque en vérifiant l’heure systématiquement sur ma montre.
Doit-on ralentir ? Lorsque je commence mon brouillon j’ai un réflexe idiot d’écrire le sujet bien proprement, comme si ce geste vaudou allait m’aider. Autre manie : je me fais mon propre petit programme des six heures en déterminant à la minute près les tâches à accomplir. Evidemment, je n’ai jamais pu respecter mon plan. Il m’arrive même de m’auto-motiver en écrivant sur mon brouillon des phrases ridicules. J’ai un peu honte. D’ailleurs j’évite que mon voisin surprenne ces actes proches de symptômes schizophrénique.
Monsieur C tapote sur son ordinateur portable. Son air concentré nous laisse imaginer qu’il travaille, qu’il prépare des cours. Mais je le soupçonne d’intercaler quelques parties de solitaire. Peut-être regarde-t-il les photos de ses dernières vacances au Guatemala. Peut-être cherche-t-il une recette de pintade farcie pour Noël. Personne ne le saura jamais. Parfois, monsieur C va prendre l’air. J’imagine alors un mouvement de classe où nous nous sauverons tous en courant. Je sais, ce n’est pas digne d’un élève en khâgne classique au lycée Fénelon que de penser cela. Et d’ailleurs, lorsque monsieur C s’en va une heure, personne ne moufte.
Il est maintenant 9 heures 50, j’ai écoulé mon pain d’épice et toujours rien de constructif n’apparait sur mon brouillon. Je n’aperçois que des visages sereins et concentrés autour de moi à l’exception d’un résistant qui à l’air de s’être endormi sur sa copie. Le stress monte. C’est alors que je décide de me battre avec le sujet. Je le retourne dans tous les sens, je cherche ses failles, j’essaye de le cerner. Doit-on ralentir… Tout ce que je sais c’est qu’il faut ralentir…et vite ! Décidément, la pendule se moque de moi.
J’ai toujours rêvé de rendre ma copie une heure avant la fin du temps imparti. Etre parfaitement organisé au brouillon, rédiger dans les temps, avoir le temps de relire et rentrer plus tôt pour retrouver mon lit. Mais rien à faire, c’est pathologique chez moi. J’exploite les 6 heures jusqu’à la dernière minute. Pourtant sur les 6 heures, je pense n’être réellement actif que 4 heures. Le reste du temps, je participe au bal des toilettes, je mange, je rêve ou j’observe ceux qui participent au bal des toilettes, qui mangent ou qui rêvent. Parfois je croise le regard de monsieur C, je feins d’être extrêmement concentré et je prends un air inspiré en regardant les platanes de la cour. Certains collègues se retournent vers moi en mimant un suicide par pendaison. J’acquiesce.
Doit-on ralentir ? Doigt thon ras lent tire ? Doitir ralanton ? Roiton Dalantir ? Doilon Ratentir ? C’est tout ce qui sort de mon cerveau. Pathétique. Chaotique. Que fais-je salle 110 au lycée Fénelon ce matin de janvier ? Je suis un imposteur en classe préparatoire. Ma place est ailleurs, j’ai l’impression d’avoir été parachuté dans un lieu qui m’est complètement hostile et ce, depuis le premier jour d’hypokhâgne. Alors au début, vous essayez de vous fondre dans la masse. Vous riez aux blagues pas drôles du tout des littéraires. Vous hochez la tête tout en vous grattant le cuir chevelu quand quelqu’un parle d’un livre canonique que vous n’avez pas lu. Et puis peu à peu, vos attitudes changent.
Déjà 11h38. Plus que 3 heures. La majeure partie de la classe a d’ores et déjà commencé à rédiger. Le bal des toilettes bat son plein. Les vitres sont embuées. Les mains s’agitent.
Je comprends que je ne pourrai pas produire de pensées philosophiques ce matin. Je comprends que les blocages existent. Je comprends que l’horloge a gagné la bataille.
Pour la première fois, je vais sortir le premier.
Je vais créer une vague de stupeur traduisant à la fois l’admiration et le soupçon.
Je laisserai les autres, le stylo à la main, les cheveux en vrac et le cou cassé. Ils me regarderont et je jouirai d’avoir pu, rien qu’une fois, sentir les platanes de la cour avant eux. Je prendrai le métro. Ils changeront de cartouche. Je me coucherai tout habillé. Ils essuieront l’encre sur leur majeur. Je rabattrai la couette sur moi. Ils entameront leur troisième partie.
Et Morphée m’enlacera. Et ils se rongeront les ongles.

Malheureusement, je préfère le chapon à la pintade farcie. 2/20

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