2023 : 1er prix Lycée - Vaguement perdu - Eléonore CHOU - 2°1 Fénelon

 

« Une terrible averse se prépare. Des secousses violentes sont attendues sur toute la côte du pays. Mettez vous à l’abris dès à présent. Je répète, un tsunami se prépare, FUYEZ-TOUS . Ceci n’est pas une blague, une vague immense s’apprête à tout engloutir. PARTEZ. »

« FUYEZ. »
    
    Si on nous avait dit ça peut-être qu’on s’en serait tous sortis. Pas forcément avec ces mots là exactement, je vais pas chipoter, mais c’est un peu l’idée. Genre les Flash Infos tout clignotants à la télé avec les journalistes et leur micro qui coupe, « vous m’entendez Gérard ?» avec le vent dans les cheveux et un arrière plan apocalyptique. Ou même sur les réseaux, des influenceurs avec leurs lèvres refaites et leur voix sur aïgues, déjà à l’abris dans leur jet « les gars prenez soin de vous, mettez-vous à l’abris, protégez vos proches, je pense fort à vous ». Un truc un peu comme ça quoi. Pas très orignal mais ça aurait fait l’affaire. Mais non, que dalle. Même pas un petit message, une petite phrase. Ça nous a pris de court, ça nous a pas laissé le temps de nous organiser. Enfin nous, moi j’aurais pas fait grand chose, j’aurais suivi quoi. Et puis, nous organiser, c’est vrai que pour tout ce qui est gestion on est des pros quoi. C’est pas comme si on arrivait pas à gérer la surpopulation, la planète qui crève de chaud et puis les petites tortues qui meurent. Remarquez, maintenant, niveau population on est bien non ? Ça a été le grand nettoyage de printemps là. Enfin là, à part de l’eau et des maisons en ruine et des petits crabes qui dansent y’a plus grand chose. Même plus de plage. Rien de rien; Si, de l’eau du coup en grosse quantité, et plutôt agitée. Ces foutues vaguelettes veulent pas me laisser en paix. C’est bon quoi, pas la peine de me lécher les pieds, ils sont propres. A peu près.
    De toute façon qui va venir vérifier ? Maman doit être en train de faire son fichu cours de français aux poissons et papa, bon bah c’est pas comme si il avait été très présent quand on avait pas encore les pieds dans l’eau, mais maintenant avec un peu de chance il flotte quelque part dans l’océan Atlantique. Je crois que j’ai pas de très bons rapports avec ma famille. Ça a toujours été un peu tendu. Et c’est pas que à cause de l’adolescence. Ça serait un peu facile de comparer nos relations avec un océan tumultueux, qui lâche, inlassablement, ses lames tranchantes, meurtrières, sur la côte qui s’effrite petit à petit. J’ai jamais été très fort en français mais bon vous avez tous compris l’idée. Ceci dit, Titi m’aurait manqué. Elle était mignonne cette petite. Très bon public aussi. J’ai pas envie de dire qu’elle a disparue. Elle doit être en train de surfer quelque part avec les dauphins, comme elle faisait tous les dimanches. Enfin pas avec des dauphins faut pas vous faire des idées, mais vous avez compris l’idée. Elle revenait trempée et pleine d’algues, puis elle babillait pendant une heure en refusant de prendre sa douche. La saleté ça l’a jamais vraiment dérangée. Titi c’était ma corde sensible. Fallait pas y toucher. J’ai pas le physique pour mais je me serais battu pour elle. J’ai pas envie de parler d’elle. C’est Titi, personne n’y touche. Même pas l’océan de merde qui s’amuse à transformer le monde en piscine à vagues.
    Vous me direz, on l’a bien cherché. Au bout d’un moment, faut arrêter de se voiler la face. La montée des eaux, les ours polaires qui vivent sur un trois mètres carré, on en a rien eu à foutre hein ? C’est bien fait pour nous, fallait que ça arrive. Fallait écouter les manifestants à République, lire leurs pancartes LA PLANÈTE VOUS LA VOULEZ BLEUE OU BIEN CUITE ? C’est sûr que comme ça on aurait compris. On serait tous allés sauver les ours polaires. C’est pas comme si seulement dix entreprises étaient responsables de la moitié des émissions de CO₂ mondiales qui réchauffent la planète. J’aime bien passer pour un vieux réac. C’est marrant on sait même pas vraiment ce que ça veut dire mais c’est pas mal pour critiquer les gens. Les plus drôles c’est les gens un peu propres sur eux. Les mecs qui l’air de pas y toucher vont vouloir qu’Ali Baba et toute

sa clique rentrent chez eux. C’est courant par contre de mélanger fiction et réalité en français. Enfin je crois. C’est à peu près tout ce que j’ai retenu du français et encore, peut-être que c’est faux. Mais les contes ont une morale non ? Bah la morale de cette histoire c’est que t’as beau être le plus fort si tu sais pas nager t’es dans la merde. Enfin je dis ça mais c’est vrai que quand la vague qui te poursuit fait cent mètres de haut ça sert à rien. Donc ma morale tombe à l’eau et c’est le cas de le dire.
    
    Si y’a un truc qui va pas me manquer, c’est bien le lycée. Qu’est-ce qu’on se faisait chier. En même temps quand on est comme moi est qu’on ne porte aucun intérêt aux autres humains, même ceux qui ressemblent peu ou prou à une fille, ça aide pas beaucoup à faire passer les journées plus vite. Je parle même pas des cours, je pense que vous vous en doutez, je suis « analphabète et incompétent ». C’est un euphémisme là. J’aurais aimé qu’ils aient un peu plus d’imagination. Ils m’auraient appelé je les aurais aidés. Tant pis pour eux, ils passent pour des gens aigris qui reportent leurs frustrations dans mes bulletins. C’est dommage ils étaient plutôt sympas.
    Ce qui me plaisait c’était le dessin. Je dessinais un peu partout. Si mon psy n’avait pas été dépressif et complètement à l’ouest, il aurait dit que j’extériorisais mes angoisses à travers une mine de plomb. Il m’aurait encouragé à continuer et m’aurait fait croire que j’avais un vrai talent. Non mais c’est vrai que j’aime bien dessiner. Ça détend. Ça permet de représenter des choses qui sont dans ta tête que les autres peuvent pas voir. Les plus doués arrivent à reproduire exactement ce qu’ils ont au fond de leur crâne. C’est fort.
    Mon excuse quand j’étais convoqué c’était mon père. Il avait bon dos celui-là. Mais vous comprenez madame, c’est compliqué en ce moment, ma maman est débordée, mon papa refuse de payer la pension, en plus avec un enfant en bas âge ça demande beaucoup plus de travail, il faut bien que je l’aide un peu. Monsieur il a insulté ma mère, je pouvais pas le laisser faire, il connait pas mon histoire, j’peux pas le laisser dire que c’est une catin qui se fait frapper par son mari. Le plus drôle dans tout ça c’est qu’ils pouvaient pas me traiter de menteur, vous imaginez l’image qu’ils auraient donnée sinon ? Ils n’auraient pas fait long feu croyez-moi. S’ils avaient su qu’ils se feraient emporter par une vague géante, ils se seraient peut-être lâchés un peu plus. On a qu’une vie comme on dit. Remarquez moi j’ai du respect pour eux. Les pauvres ils doivent gérer trente personnes comme moi, à quelques exceptions près, multipliées par six ou sept, c’est sûr qu’ils doivent pas chômer avec des animaux comme nous. On doit être désespérants. Je dis ça en rigolant mais eux rient pas du tout, ils pensent quand même avoir entre leurs mains l’avenir des centaines de jeunes. Ils ont pas torts, ils ont raison même. N’empêche qu’on a zéro reconnaissance parce qu’on s’en fout. Mettre des individus remplis d’hormones qui dorment vingt-heures par jour, c’est pire que faire une télé-réalité avec des adultes qui carburent à la drogue et à l’alcool si vous voulez mon avis.

    

    C’est vrai qu’il n’y a plus rien. Plus de plages, plus de digues, plus de ponts, plus d’humains. C’est une belle scène post apocalyptique. Ça a déjà du être décrit dans des dizaines de bouquins bien mieux écrits que moi, mais je lis pas donc je peux pas savoir. C’est beau d’un certain côté.  Ça a tout lavé. On était des parasites finalement. À quoi on servait à part faire chier le monde ? On avait beau se donner de grands airs on cassait pas trois pattes à un canard.

    J’me fais chier. On m’a déjà dit que j’étais très grossier. J’ai pas écouté. J’ai fermé mes oreilles. Y’a certains trucs qu’on aimerait crier et y’a que les insultes qui définissent nos états


d’âmes. Je deviens philosophique. La flotte a du libérer des gaz toxiques ou je sais pas. Des particules nucléaires, tout ça.

    Un jour on m’a dit de faire tomber mon masque. J’ai fais le con qui comprend pas. On m’a dit « c’est pas la peine de te cacher derrière ton sarcasme et ta tête de sale gosse, on sait tous que t’es qu’un pauvre type qui utilise des mots de jeune des années cinquante pour faire genre. » J’ai du répondre qu’il avait une bonne culture. Ça l’a pas fait marrer. J’y suis pour rien moi, je suis comme ça c’est tout. J’aime pas montrer mes défauts.


    Si quelqu’un pouvait entrer dans ma tête. Il pourrait voir tout ce qu’au fond j’ai envie de montrer. Alors que je fais comme si je voulais tout garder pour moi. Vous savez je suis pas aussi bavard d’habitude. J’aime pas trop parler de moi. Je trouve que ça me rend faible. J’ai été forcé à aller voir un psy d’ailleurs. Au début j’ai fait le bad boy blasé. Et puis à un moment toutes les vannes se sont ouvertes d’un coup. Je suis pas sexiste mais j’ai pleuré comme une fillette. Caché comme un garçon. Le flot de parole s’est mélangé aux cascades de larmes et de morve, ça a fait une belle inondation. Je me suis retrouvé à hoqueter comme un con, le visage rouge et tout le tralala.

    Y’a des jours où j’aimerais mourir. Mais de manière grandiose vous voyez. Le genre de mort dont on parle dans les journaux. Genre noyé par une vague géante qui a ravagé toute la planète. Dommage que y’ait plus de papier sec pour l’écrire tiens. Ça se serait bien vendu je pense.

    Tout est redevenu calme. Il fallait voir la tempête. Wah, ça c’était quelque chose. J’avais jamais vu une vague aussi grande. Aussi belle aussi. Titi aurait adoré surfer dessus. Elle grondait, elle faisait un bruit assourdissant.

    Elle a fait peur à beaucoup de monde. Elle arrivait lentement mais trop vite pour qu’on fuie. Elle avait l’air de dire: ça sert à rien de courir, fallait réfléchir avant. Fallait penser aux baleines et aux cachalots.

    Et puis elle est arrivée d’un coup.

    D’une seconde à l’autre on a eu la tête sous l’eau.

    Elle est repartie comme elle est venue.

    Sans rien laisser sur son passage.

    Elle ressemblait à la marée qui monte
    
    et qui redescend. C’était pas la gentille vague

    qui vient ramper sur le sable

    laissant derrière elle des moutons d’écume jaunâtre.

    C’était pas apaisant comme un coucher de soleil
    
    Sur la plage. Le genre de trucs niais que je déteste.

    Je suis un bad boy moi.

    Mais putain qu’est-ce que c’est moche

    une fin du monde.

    J’en aurais presque le coeur serré.
    
    Je pleure pas facilement vous savez…

    Mais maintenant que y’a plus personne…

    Je vais me gêner.

    Maman tu m’entends ? Titi regarde moi. Faut pas m’oublier. Faut pas penser que je vous ai abandonnées. C’était vague dans ma tête, un beau bordel. Les pensées qui fluctuent sans cesse, qu’on repousse tant bien que mal. C’est la tempête dans ma tête Maman je sui ssubermgé. Je vais me noyer, je vous vois plus. J’ai nagé je te le jure, mais il semblerait que la vague ait été plus forte que moi. C’est peut-être mieux. Vous le saviez vous, que j’étais pas qu’un sale gosse. Maman tu le disais si bien. « T’es juste un enfant de l’océan qui attend la bonne vague. » Je l’ai trouvée Maman. Dommage qu’elle vous ait emportées loin de moi. Après tout est relatif. Qui a vraiment été trimballé comme une coquille vide ? Vous avez deux heures.


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