samedi 9 juin 2012

Nouvelle primée au concours commun des lycées Fénelon, Louis le Grand et Henri IV, niveau lycée : Vivre sa vie, de Patricia Groubetitch 1L1


Aimer la vie
            La porte se referme. Doucement. Il aurait pu la claquer. Mais non. Ce n'est pas ce qu'il veut. Ce n'est pas ce qui l'intéresse. Il est heureux de sa décision de partir. De détourner le regard et de ne plus jamais revenir ici. Il essuie le sang qui coule sur sa lèvre et se met à descendre les escaliers. Il ne regarde pas derrière lui, il ne regrette rien. Il enlève le bandage blanc qui entourait sa main et le laisse tomber par terre, comme une trainée de neige.
            Il pousse la porte, et savoure l'air frais qui caresse son visage, ébouriffe ses cheveux. Il avance d'un pas décidé. Il sait où il veut aller. Sa lèvre le pique, mais il s'en moque. Tout ira mieux s'il y croit. Il tourne au coin d'une rue. Passe sa main sur la pierre grise des bâtiments qu'il longe. Il regarde droit devant lui, il sourit. Il oublie la douleur qui lui vrille le dos là où il a reçut des coups. Ce ne sera qu'un souvenir. Il continue à marcher. Il ferme les yeux quelques secondes pour sentir le vent sur son visage.
            Il tourne à droite. Passe devant un fleuriste. Un homme tout de vert et d'odeurs de nature, qui attend, sur le palier de sa boutique. Il profite de la beauté de ses fleurs et des sourires des passants. Le jeune homme le dépasse, le parfum des plantes encore dans le nez. Il inspire profondément, s'en imprègne, comme s'il était couché dans l'herbe. Il sent presque le soleil qui embrasserait sa peau. Il entend presque le bourdonnement des insectes, le bourdonnement de toute cette vie autour de lui.
            Il tourne à gauche. Puis à droite. Il croise ces deux enfants, qui ont la douceur du sucre. Ils sont insouciants, joyeux. Leur bonheur se résume à des choses aussi simples qu'un conte ou que quelques cartes à jouer. Ils lui rappellent les comptines, la marelle, le jeu du chat. Ils lui rappellent les pains au chocolat du mercredi après-midi. Il est heureux pour ces enfants. Ils lui rappellent les parties de cache-cache, les maquillages d'animaux et les déguisements de chevaliers.
            Il avance encore. Il voit ce garçon rouge, appuyé contre une voiture. Il sourit. C'est une belle voiture. Une voiture qui doit le rendre fier, ce garçon rouge. Qui doit le faire se sentir bien.
            Aussi bien que le garçon blanc qui sourit toujours en changeant de rue. Il lève les yeux et voit ces arbres. Ces feuilles vertes qui font le ciel. Les trous de la canopée lui font penser aux étoiles.
            Il baisse les yeux vers son chemin. Et il voit cette fille argentée qui vient dans l'entre sens. Elle brille. Elle a l'air de voler quand elle marche. Ils échangent un sourire, un regard. Et ce regard! Oh, ce regard! Ce regard est magique. C'est un pas de danse, une révérence. Il y a dans leurs yeux quelque chose qui ressemble à des sauts périlleux. C'est un battement de cils qui applaudit. C'est l'audace de ne pas baisser la tête. C'est un murmure tendre qui disparaît tandis qu'il avance encore.
            Il tourne encore. A gauche, à gauche, à droite, adroit, il évite ce vieillard tout doux. Ce vieillard tout fort. Un vieillard qui a vécu, qui a rêvé. Comme il a rêvé! Et comme il s'est battu pour ses rêves, ce vieillard digne et grand! Un vieillard tout brun qui sent bon le cuir et le tabac à pipe. Ils échangent un sourire bienveillant, un sourire qui promet une vie aussi longue, et aussi belle, que celle du vieil homme. Puis ils se séparent.
            Assis sur un banc, il y a ce couple qui rayonne. Ce couple comme dans un autre monde. Elle a la tête posée sur l'épaule du garçon qu'elle aime. Il la connait. Il est heureux pour elle. Heureux de la voir heureuse. Ils sont beaux, ils sont ensemble, ils se complètent. Il passe derrière eux sans un bruit, il sourit.
            Il entend le chant des oiseaux. Il lève les yeux et les voit, deux points dansant dans le ciel parisien. Il sourit. Le monde est beau. Le monde est à lui. 
            Il tourne sur lui-même. Le monde est beau. Il tourne encore. Il rit. Les gens le regardent, étonnés. Ça l'amuse. Certains esquissent des sourires aussi. Il rit d'un rire franc, qui vient du cœur. La vie est belle. Il se met à courir dans les rues parisiennes. Il fait une pirouette pour éviter un passant. Se baisse pour ne pas gâcher une photo. Il entend le bruit confus de conversations, d'éclats de rire. Des souvenirs racontés, des histoires inventées. Des mots d'amour, de la tendresse cachée. Il voit des regards amoureux, des regards joyeux, des regards émerveillés. Il voit des signes de la main, il voit des courses dans Paris. Il voit des dessins sur les murs, de vieilles affiches de concert encore collées. Des chats qui marchent tranquillement. Il sent l'odeur des boulangeries, des parfumeries, des marchands de journaux.
            Il court toujours, jusqu'à sentir sa poitrine le brûler, jusqu'à être totalement seul dans des rues oubliées. Des rues désertes.
            Quelque part alentours, une fontaine coule. Des moineaux y boivent. Au dessus de lui, au dessus des monuments, des cheminées et des gratte-ciels, le soleil brille, et ça suffit à le rendre heureux.
            Il est face à une porte étrange. Une porte en métal, une porte d'ascenseur. Elle n'a rien à faire là, mais plus personne ne vient s'en étonner. Il est dans un endroit presque en dehors du monde. Son souffle est haletant devant cette porte d'ascenseur. Il savoure chaque respiration. Il se sent vivant. Il sent son cœur battre à tout rompre.
            C'est une porte qui n'est là que pour ceux qui la méritent. Ceux qui en ont besoin, et ceux qui arrivent à croire.
            Ce garçon blanc, lui, croit en la vie. Il croit en la vie qui coule dans ses veines. Il croit en la vie qui l'entoure. Il la respire. Il la caresse du bout des doigts. Il croit en une vie qui lui appartient, et dont il est maître. Il croit en une vie qui est belle, en une vie qu'il façonne. Il y croit dur comme fer. Il lui suffit de regarder autour de lui pour voir à quel point la vie est belle! Et il sait, il est absolument persuadé que tout ira bien. Il voit la beauté du monde. Elle est tout autour de lui.
            Il inspire un peu plus d'air. Son cœur bat toujours à tout rompre. Un frisson d'excitation le parcourt.
            Il n'a plus rien d'autre à perdre que l'espoir. Et il est si profondément ancré en lui, si intimement lié à chacun de ses battements de cœur, que rien ne peut l'arrêter. Il ne ressent aucun doute. Aucun impatience. Ce qui doit arriver arrivera en temps voulu. Il sourit de plus belle. Croise ses doigts. Ferme les yeux. Et en appuyant sur le bouton de cet ascenseur incongru dans cette ruelle perdue, il prie pour une nouvelle vie. 

Patricia Groubetitch

2° prix niveau secondaire, concours commun

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