dimanche 10 juin 2012

Quelques photos de la remise des prix au lycée Henri IV

Le jury  : 
de gauche à droite
Sophie Horay et Héloïse d'Ormesson (de dos), Jean Bernard Pouy, Caroline Anfray, Christophe Bigot, Agnès Desarthe ( de dos)
au milieu, Jérôme Mesnager, invité .




La remise des prix :

  • Gauthier Depambour, lauréat du concours interlycées, pour le niveau lycée, avec le président du jury Frédéric Miquel et Thierry Sicard, documentaliste au lycée Louis le Grand

  • Corentin Jegou , lauréat du concours interne du lycée Fénelon




  • Les élèves de l'Ecole Estienne qui  ont conçu le recueil de nouvelles pour la deuxième année, avec le proviseur de l'Ecole et du proviseur-adjoint du lycée Fénelon Mme Bruant





Et pour beaucoup plus de détails, cliquez sur le blog du CDI d'Henri IV !

samedi 9 juin 2012

Nouvelle primée au concours commun des lycées Fénelon, Louis le Grand et Henri IV, niveau lycée : Vivre sa vie, de Patricia Groubetitch 1L1


Aimer la vie
            La porte se referme. Doucement. Il aurait pu la claquer. Mais non. Ce n'est pas ce qu'il veut. Ce n'est pas ce qui l'intéresse. Il est heureux de sa décision de partir. De détourner le regard et de ne plus jamais revenir ici. Il essuie le sang qui coule sur sa lèvre et se met à descendre les escaliers. Il ne regarde pas derrière lui, il ne regrette rien. Il enlève le bandage blanc qui entourait sa main et le laisse tomber par terre, comme une trainée de neige.
            Il pousse la porte, et savoure l'air frais qui caresse son visage, ébouriffe ses cheveux. Il avance d'un pas décidé. Il sait où il veut aller. Sa lèvre le pique, mais il s'en moque. Tout ira mieux s'il y croit. Il tourne au coin d'une rue. Passe sa main sur la pierre grise des bâtiments qu'il longe. Il regarde droit devant lui, il sourit. Il oublie la douleur qui lui vrille le dos là où il a reçut des coups. Ce ne sera qu'un souvenir. Il continue à marcher. Il ferme les yeux quelques secondes pour sentir le vent sur son visage.
            Il tourne à droite. Passe devant un fleuriste. Un homme tout de vert et d'odeurs de nature, qui attend, sur le palier de sa boutique. Il profite de la beauté de ses fleurs et des sourires des passants. Le jeune homme le dépasse, le parfum des plantes encore dans le nez. Il inspire profondément, s'en imprègne, comme s'il était couché dans l'herbe. Il sent presque le soleil qui embrasserait sa peau. Il entend presque le bourdonnement des insectes, le bourdonnement de toute cette vie autour de lui.
            Il tourne à gauche. Puis à droite. Il croise ces deux enfants, qui ont la douceur du sucre. Ils sont insouciants, joyeux. Leur bonheur se résume à des choses aussi simples qu'un conte ou que quelques cartes à jouer. Ils lui rappellent les comptines, la marelle, le jeu du chat. Ils lui rappellent les pains au chocolat du mercredi après-midi. Il est heureux pour ces enfants. Ils lui rappellent les parties de cache-cache, les maquillages d'animaux et les déguisements de chevaliers.
            Il avance encore. Il voit ce garçon rouge, appuyé contre une voiture. Il sourit. C'est une belle voiture. Une voiture qui doit le rendre fier, ce garçon rouge. Qui doit le faire se sentir bien.
            Aussi bien que le garçon blanc qui sourit toujours en changeant de rue. Il lève les yeux et voit ces arbres. Ces feuilles vertes qui font le ciel. Les trous de la canopée lui font penser aux étoiles.
            Il baisse les yeux vers son chemin. Et il voit cette fille argentée qui vient dans l'entre sens. Elle brille. Elle a l'air de voler quand elle marche. Ils échangent un sourire, un regard. Et ce regard! Oh, ce regard! Ce regard est magique. C'est un pas de danse, une révérence. Il y a dans leurs yeux quelque chose qui ressemble à des sauts périlleux. C'est un battement de cils qui applaudit. C'est l'audace de ne pas baisser la tête. C'est un murmure tendre qui disparaît tandis qu'il avance encore.
            Il tourne encore. A gauche, à gauche, à droite, adroit, il évite ce vieillard tout doux. Ce vieillard tout fort. Un vieillard qui a vécu, qui a rêvé. Comme il a rêvé! Et comme il s'est battu pour ses rêves, ce vieillard digne et grand! Un vieillard tout brun qui sent bon le cuir et le tabac à pipe. Ils échangent un sourire bienveillant, un sourire qui promet une vie aussi longue, et aussi belle, que celle du vieil homme. Puis ils se séparent.
            Assis sur un banc, il y a ce couple qui rayonne. Ce couple comme dans un autre monde. Elle a la tête posée sur l'épaule du garçon qu'elle aime. Il la connait. Il est heureux pour elle. Heureux de la voir heureuse. Ils sont beaux, ils sont ensemble, ils se complètent. Il passe derrière eux sans un bruit, il sourit.
            Il entend le chant des oiseaux. Il lève les yeux et les voit, deux points dansant dans le ciel parisien. Il sourit. Le monde est beau. Le monde est à lui. 
            Il tourne sur lui-même. Le monde est beau. Il tourne encore. Il rit. Les gens le regardent, étonnés. Ça l'amuse. Certains esquissent des sourires aussi. Il rit d'un rire franc, qui vient du cœur. La vie est belle. Il se met à courir dans les rues parisiennes. Il fait une pirouette pour éviter un passant. Se baisse pour ne pas gâcher une photo. Il entend le bruit confus de conversations, d'éclats de rire. Des souvenirs racontés, des histoires inventées. Des mots d'amour, de la tendresse cachée. Il voit des regards amoureux, des regards joyeux, des regards émerveillés. Il voit des signes de la main, il voit des courses dans Paris. Il voit des dessins sur les murs, de vieilles affiches de concert encore collées. Des chats qui marchent tranquillement. Il sent l'odeur des boulangeries, des parfumeries, des marchands de journaux.
            Il court toujours, jusqu'à sentir sa poitrine le brûler, jusqu'à être totalement seul dans des rues oubliées. Des rues désertes.
            Quelque part alentours, une fontaine coule. Des moineaux y boivent. Au dessus de lui, au dessus des monuments, des cheminées et des gratte-ciels, le soleil brille, et ça suffit à le rendre heureux.
            Il est face à une porte étrange. Une porte en métal, une porte d'ascenseur. Elle n'a rien à faire là, mais plus personne ne vient s'en étonner. Il est dans un endroit presque en dehors du monde. Son souffle est haletant devant cette porte d'ascenseur. Il savoure chaque respiration. Il se sent vivant. Il sent son cœur battre à tout rompre.
            C'est une porte qui n'est là que pour ceux qui la méritent. Ceux qui en ont besoin, et ceux qui arrivent à croire.
            Ce garçon blanc, lui, croit en la vie. Il croit en la vie qui coule dans ses veines. Il croit en la vie qui l'entoure. Il la respire. Il la caresse du bout des doigts. Il croit en une vie qui lui appartient, et dont il est maître. Il croit en une vie qui est belle, en une vie qu'il façonne. Il y croit dur comme fer. Il lui suffit de regarder autour de lui pour voir à quel point la vie est belle! Et il sait, il est absolument persuadé que tout ira bien. Il voit la beauté du monde. Elle est tout autour de lui.
            Il inspire un peu plus d'air. Son cœur bat toujours à tout rompre. Un frisson d'excitation le parcourt.
            Il n'a plus rien d'autre à perdre que l'espoir. Et il est si profondément ancré en lui, si intimement lié à chacun de ses battements de cœur, que rien ne peut l'arrêter. Il ne ressent aucun doute. Aucun impatience. Ce qui doit arriver arrivera en temps voulu. Il sourit de plus belle. Croise ses doigts. Ferme les yeux. Et en appuyant sur le bouton de cet ascenseur incongru dans cette ruelle perdue, il prie pour une nouvelle vie. 

Patricia Groubetitch

2° prix niveau secondaire, concours commun

vendredi 8 juin 2012

Nouvelles primées au concours interne du lycée Fénelon, niveau lycée : Vous êtes bloqué ? Un assistant vient vous aider... de Livia Pinet 1°S4


Vous êtes bloqué?
Un assistant vient vous aider...




Invocation...
Je suis l’ami diabolique.
La muse inventive.
Depuis toujours je suis là pour t’inspirer, te soigner.
Alors, aujourd’hui est venu le temps de chanter ma gloire.
***
Il  regarda cette page toujours blanche, la mit en boule et visa la corbeille. Panier raté, trop plein… Tu m’étonnes, six jours que je ne suis pas sorti. Le sol était jonché de mégots, de cannettes de sodas, de bouteilles de bière, de paquets de chips vides.  On dirait un lendemain de fête… Et puis, merde, la fête est finie, j’arrête ! En revanche, en haut, ils n’ont pas terminé leur boum ! Je croyais que c’était un goûter d’anniversaire… Pas une boîte de nuit !
Il prit un sac et ramassa les ordures. Les vestiges d’une semaine de vide total, de gueule de bois, de coups de gueule…
Créer une chimère, c’est tout ce qu’on  lui demandait… rien de plus. Et pourtant, les mots ne venaient pas et l’argent disparaissait. « Il te suffit de rêver, lui avait dit son agent ce matin là. Ce n'est pas plus difficile que ça»… "Ce n'est pas plus difficile que ça", j’aimerai bien t’y voir moi qu’on rigole deux secondes, je vais aller me payer un nègre et ça va être vite fait.
« Si tu veux, j’ai reçu un chargement de champignons hallucinogènes….T’en veux ?
-          Mon génie n’a pas besoin de ça… ».
Il lui avait quand même fourré le paquet dans sa poche.
Sac poubelle fermé, porte claquée, ascenseur appelé et pas encore d’idée… Faut que ça vienne, sinon c’est plus dans ce trou miteux que je vais vivre, c’est dans la rue …
La porte s’ouvrit dans un grand fracas. Lenny pénétra dans les ténèbres de l’ascenseur, content de l’obscurité qui lui permettait de ne pas profiter de la crasse ambiante. Une série de bruits inquiétants, puis l’appareil se mit en branle. Commença une longue descente, entrecoupée par des petites secousses. Puis tout s’arrêta, plus un bruit, plus un mouvement.
Quelle idée j’ai eue de monter dans un ascenseur sans lumière… Les premières minutes ce fut de l’agacement, des grognements… Vint ensuite, le temps des questions, des « Combien de temps ça va durer ? »,  « Ai-je laissé quelque chose sur le feu ?», et après celui des réponses qui n’en étaient pas  « Personne n’est jamais restée coincé ad vitam aeternam dans un ascenseur ? Si ? ».
Enfin, il y a eu la faim… Pas le petit creux. Non, celle qui brûle l’estomac… Celle où votre pauvre panse crie « FAMINE » dans une série de gargouillis intempestifs. Lenny chercha dans ses poches, n’importe quoi qui aurait pu arrêter ce concerto incessant. Eureka ! Des champignons… Ils empestaient et il se souvenait que d’apparence ils n'étaient guère ragoûtants. Mais dans le noir… Ce n’était ni des pleurotes, ni des girolles mais ça nourrissait son homme. Trois coups de mâchoires et le tout fut englouti.
Puis le noir total. On avait éteint sa lumière intérieure, Lenny était amorphe. Ce fut ensuite comme un tourbillon de couleur, de sons : de BANG, de BOUM et de BING. Au milieu de la neige, du déluge, de la pluie, du soleil, du sable et du désert, apparut un monde nouveau. Un monde qu’on ne pouvait voir qu’à travers ses yeux.
Tiens, un soleil vert. Tout est tellement plus beau ici, plus lumineux. Il y a des créatures dans le ciel, des bouledogues avec des ailes d’ange violettes, en plus leurs dents crèvent les nuages en barbe à papas et ça fait de la pluie,  il suffit juste d’ouvrir la bouche pour avoir un goût sucré sur la langue.
C’est un monde de rêve, où les lianes des arbres ont des mains et peuvent masser mon dos fourbu, où les oiseaux couinent Queen -"Show must go oooon..."- et où les papiers peints ressemblent à des peintures fauvistes.
Une chose est claire, si c’est une vision c’est la plus belle de toute, si c’est la réalité, c’est utopique. Tel que je connais ma muse ce n’est pas son œuvre. 
Pour quelques auteurs la muse n’a pas l’apparence d’une jolie jeune femme. Pour moi, c’est un Monsieur. Un monsieur avec une dégaine de videur de boîte de nuit. C’est la fête dans ma cervelle, un festival d’idées. Il faut bien quelqu’un pour gérer tout cela… faire un tri. Alors Monsieur Muse est là. Ce malabar au crâne rasé a une particularité : des bras grassouillets qu’il masse avec de la pommade à la rose. Et c’est avec ceux-ci qu’il brasse savamment toutes mes créations.

*La muse
Ses créations ! Ses créations !
Mais quelle prétention !
Moi, videur de boîte crânienne ?
Cette vocation n’est pas mienne !
Qu’on le laisse périr avec sa poêlée forestière hallucinogène…
Aucunement, cela ne me gêne.
On devrait être plus sélectif quand on attribue les talents…
Car ce petit génie est trop suffisant.
***

S’il vous plaît, s’il vous plaît ! ? Quelqu’un pourrait m’expliquer pourquoi j’ai un zèbre violet -orange à côté de moi ? Pourquoi, je ne monterai pas sur lui, histoire de faire une virée ? Avec un chapeau de zebra boy, le fouet à pâtisserie et en avant toute pour l’aventure. Là, je rencontrerai une jolie amazone… Quelle est belle ! Elle est comme Monsieur Muse, elle a l’oreille percée, non pas au niveau du lobe mais du cartilage. Il y a un homme bizarre qui se balade, très louche. Ces muscles diaphanes laissent passer la lumière orangée du soir. Dans notre marécage, à mon amazone et moi, il pourrait être la grenouille sur le nymphéa. Oui, il est comme monté sur ressorts. De belles cuisses de grenouilles avec quelques champignons qui font voir le monde en multicolore… Le sale bonhomme pousse des croassements…ou plutôt devrais-je dire qu’il gémit. Et mon amazone, le regarde un peu trop à mon goût. Elle a des formes très spéciales : huit ronds, numérotés de un à huit sur lesquels on peut appuyer.

*La muse
Quel imbécile, en train d’appuyer sur les boutons de l’ascenseur avec son air énamouré !
Laissez-moi verser une petite larme… Là, c’est fait.
Si on le laisse continuer, il va se ridiculiser…
Laissons-le faire quelque chose de stupide.
Peut-être même se tuer.
***

C’est quoi ce bouton avec une petite cloche ? Peut-être que son ventre peut faire de la musique…  BIP, BIP, BIP. Ce n’est pas très beau ce son.
« Vous êtes bloqué dans l’ascenseur, un assistant vient vous aider ». Dans la censeur ? C’est quoi une censeur ? Et depuis quand les ventres d’amazone, ça parle ? Le monde est une jungle et moi je suis le lion. GRRR, TREMBLE DEMON DE SON ESTOMAC, TU NE DURERAS PAS LONGTEMPS.
Glouglou… Ca c’est le mien. J’en ai marre de cette liberté captive. Marre d’être coincé dans cette jungle où tout est une insulte pour les yeux. Où les bananes sont bleues et les arbres roses…Où les ventres d’amazone sont tellement boutonneux qu’on dirait des claviers de machines à calculer et qu’en plus, là dedans, ça parle ! Peut-être qu’elle est enceinte ? D’une fille… Celle qui dit que je suis coincé dans la censeur. C’est pour cela qu’elle raconte n’importe quoi. Elle ne sait pas encore comment est le monde. Je vais lui montrer comme tout est merveilleux ici… Les bananes qui ont un goût de fraise, les barbes à papa qui volent dans le ciel. Tous les enfants aiment les barbes à papa ! Je suis sûr qu’elle les adorera.
« Ma chérie, je vais te sortir d’ici… Attends un peu. J’arrive. Je vais ouvrir ta Maman… Le problème, c’est qu’avec mon canif, c’est dur. Ta mère a des vis, je ne peux pas inciser. Tant mieux tu vas me dire… Les césariennes, ça doit pisser le sang ! »

*La muse
Mais regardez-le.
Observez cet esprit dérangé.
C’est le moment de lancer, mon grain de sel pimenté.
Oh qu’il sera content quand il verra ce que je fais de sa « fifille »adoré !
Et pour cela, je ne vais pas beaucoup me fouler.
Quand la chair est déjà là, c’est l’esprit qu’il faut manier.
***

C’est curieux les entrailles d’une bonne femme. C’est multicolore. Y a du bleu, du rouge, du vert. Je croyais que c’était des gros tuyaux plein de sang, qu’on pouvait voir le trajet des carottes dans l’estomac et de l’eau dans le gosier. Et bien pas du tout ! Ce sont plein de fils, et le plus joli là-dedans, ce sont les belles étincelles qui sortent mais elles piquent les doigts et mes cheveux se dressent sur ma tête. Dans ma salle d’opération, les bonnes femmes ne doivent pas pleurer, elles savent que tout ira bien.
Ca fait deux heures que j’ai les mains dans ce cambouis ingérable, dans cette suie dégoutante et le bébé de Miss Amazone et bien je ne l’ai toujours pas trouvé. Les bonnes femmes de ce type, il faudrait les livrer avec mode d’emploi. Oui, avec des légendes explicatives et des schémas parce que là … Et j’ai tout désossé pourtant. Elle est toute propre de l’intérieur et je peux dire que dans le noir ce n’est pas facile d’opérer. « SILENCE ! SILENCE ! ou je fais évacuer… rien du tout ». On crève de chaud, ici .Je suis trempé.
« SILENCE, j’ai dis ! Ce serait possible d’arrêter de geindre ou bien… ? Mais c’est toi mon bébé… CHUUUT ! Je hais les pleurs. Tu peux m’expliquer ce que tu fais dans ce coin sombre de la censeur ?
-OUIN OUIN OUIN !
- C’est cela oui… couin, couin, couin. T’étais bien plus prolixe dans le ventre de ta mère. Je te préférais dedans d’ailleurs. Il faut dire que tu es bien moche. ».
Devez vous dire que je suis un père indigne. Même pas sûr que ce soit mon gosse… On n’a aucun air de famille. Moi, je suis beau et elle… c’est le plus vieux bébé du monde et en plus elle a une tête de singe, elle est poilue comme un yéti. Je l’appellerai LUCY, comme sa grande sœur d’il y a des milliards d’années. Quand j’y pense, son père doit être l’homme aux jambes de grenouilles, lui aussi n’avait pas un physique facile.

*La muse
Comme c’est mignon de le voir pouponner,
C’est l’heure de le faire hurler.
***

« Lucy, reviens-ici tout de suite ! Sale macaque, tu vas voir ce que je vais faire de toi ! »
La petite sotte, quand je l’aurai attrapé, elle va voir ce qu’il va lui arriver. Elle a accroché des diamants à ses poils de yeti. C’est absolument charmant. Ca fait gling, gling, gling à chaque fois qu’elle se déplace. En gros, cette enfant est hideuse et ses goûts aussi. La voilà qui saute maintenant, on dirait un astronaute. C’est Neil Armstrong sur un pain au chocolat, elle est dans le ciel avec ces diamants qui font un bruit affreux. Elle brille de milles feux, sa lumière irradie l’horizon. Elle essaye de se frayer un chemin dans le ciel où les étoiles sont des sucres d’orges et où il fait très froid. Qu’importe, c’est un yéti. J’aimerai la suivre, l’attraper et lui montrer qui fait la loi. AHAH ! C’est mon jour de chance là il y a une trappe qui flotte comme par magie… Là, elle est ouverte. Encore des fils et des câbles, que des fils et des câbles… Est-ce une habitude ? Et Lucy, s’envole avec un ballon doré, elle s’éloigne. Pas grave, je vais la suivre. Je lui mettrai le grappin dessus quoiqu’il m’en coûte. Je m’accrocherai à ces câbles et je l’aurai. QUE LA FETE COMMENCE.
*La muse
C’est vrai que c’est du réchauffé…
Mais il est écrit sur mon CV,
Que la muse des Beatles et d'Elton John j'ai été,
Et que j’ai aussi créé beaucoup des tubes de l'été.
Maintenant, l’heure de la chute a sonné.
***
Je t’ai eu PETIT PRIMATE, comme promis ! C’est fini maintenant. Tu es atroce, pénible. Je ne tiens pas un zoo et le rôti de singe c’est très bon. Alors pour l’instant, ton ventre velu va être mon porte canif et après on verra. D’ailleurs soit dit en passant, ton pouvoir de téléportation, tu l’as eu où ? A un instant, tu es dans le ciel, le moment d’après tu te tapis dans ce coin.
Tout se rétrécit… tout se déforme, tout se décolore. Je tombe, tombe, tombe…

*La muse
Les câbles de l’ascenseur, il a bousillé
Et un coup du lapin, il va avoir.
Les auteurs j’adore inspirer,
Car sur eux j’ai le pouvoir.
Et l’ascenseur tomba, tomba, tomba…
***

Les pompiers ouvrirent avec difficulté l’ascenseur. Tous les habitants de l’immeuble attendaient, en pestant contre le mauvais entretien de l’appareil.
On retrouva un ascenseur en piètre état… Quelqu’un l’avait démonté. Dedans il y avait, gisant sur le sol, ensanglanté, M.Barr l’écrivain maudit du septième étage et…
« MAIS...C'EST LE DOUDOU DE MA FILLE!!!! hurla une femme qui venait d'entrer dans l’immeuble. Oui, c’est lui, je le reconnais, elle l'a emmené au goûter d’anniversaire du huitième étage. Que lui est-il arrivé?!»
Sa fourrure blanche était devenue rouge, ses diamants étaient couleur rubis... La pauvre petite chose avait été lacérée avec un canif...
« Et ma fille...? MAIS OU EST MA FILLE? », continua-t-elle.

*La muse
Pour chaque créateur je suis là et j'adore mon boulot...
Mais surtout vous faire passer pour des zigotos.
Aux artistes j'ai prêté allégeance
Mais n'oubliez jamais que c'est moi qui mène la danse.
***




Livia Pinet


1° prix

Nouvelles primées au concours interne du lycée niveau prépas : Pour Johannsen, de Corentin Jegou KM1


J'ai vu d'abord ses pieds. Je me suis arrêté.
Posés là, de gros pieds noirs, nus ; ça ressemblait à peine à des pieds. On aurait dit plutôt des tubercules. Donc je me suis arrêté, à quelques pas, et j'ai regardé. Les racines des tubercules s'enfonçaient dans un pantalon qui avait l'air solide tellement il était sale, ça faisait comme une croûte, bosselée, du genre maladie, ou une écorce. Puis venait le tronc, adossé au mur, affaissé, et qui avait l'air d'être écrasé sous plusieurs épaisseurs de vêtements. En somme, ça faisait un tas, par terre. J'ai déduit qu'il y avait une tête au bout, même si je ne la voyais pas, cachée sous un gros feuillage, cheveux et barbe. Donc il y avait ce tas par terre, qui ne bougeait pas. Et je regardais.

Je regardais, sans m'approcher. J'ai remarqué alors que dans le mur, juste à côté, il y avait une porte, avec des inscriptions, des dessins. Et sur cette porte, il y avait écrit quelque chose comme « La porte du rêve », et que pour l'ouvrir il fallait y croire très fort, et il y avait une silhouette, quelqu'un qui semblait vous attendre, vous inviter. C'est à ce moment-là que vraiment j'ai été frappé. Ces graffitis un peu béats – les pouvoirs du rêve tout ça – et puis ce clochard lamentable, c'était trop beau. L'un sans l'autre, ce serait passé inaperçu. Des clochards, des dessins naïfs sur les murs, on en voit partout, on en voit trop. Mais là, côte à côte ! Une telle niaiserie, en présence d'une telle ordure, c'était presque violent. On se sentait agressé.

Je me suis demandé alors lequel des deux avait été installé là en premier, du graffiti ou du clochard. Il fallait y penser tout de même. Comme ça m'intriguait franchement, ce tableau, je me suis approché. Je comptais d'abord essayer de deviner, à l'oeil, lequel des deux était le plus ancien. Quand je me suis trouvé assez près du mur pour bien examiner les inscriptions,


je me suis rendu compte qu'elles avaient l'air d'être là depuis un bon moment, la peinture était délavée, ça s'estompait par endroits. Mais je dois dire aussi que le clochard, même si ses tubercules n'avaient pas encore pris, n'était pas tout frais non plus – l'odeur, ça ne trompe pas, et je m'y connais en clochards. D'ailleurs il ne bougeait toujours pas. J'ai poursuivi un peu mon examen, je cherchais des indices, il y avait de quoi être curieux, c'était quand même une rudement bonne idée cette composition. Le clochard et la porte du rêve ! Mais je me suis aperçu que le clochard me regardait. J'avais cru d'abord qu'il dormait ou qu'il était mort, mais non – il me regardait.

Il me regardait à travers l'écran dégueulasse de ses cheveux et de sa barbe, ça lui faisait un foutu printemps sur le caillou, une touffe pas possible. Il me regardait dans les yeux, avec deux petites billes noires. J'ai soutenu son regard. Il devait se demander si j'avais compris. Il devait être content qu'on remarque enfin qu'il n'était pas là par hasard, qu'il avait choisi son emplacement avec raffinement, un esthète. J'en était sûr – son regard – il était là exprès, pour la porte du rêve. C'était son idée. Je lui ai fait alors un petit signe de tête vers le mur, pour le féliciter. Il a fait semblant de ne pas comprendre, il me fixait toujours sans bouger – ses petites billes noires, ça aussi c'était fort. J'ai refait un signe plus insistant vers le mur, et j'ai dit que c'était pas mal trouvé, qu'il fallait y penser tout de même. Le brave homme, il me regardait toujours sans rien dire, sans bouger. Ses yeux surtout, ils étaient vides, deux petites billes noires vraiment. J'ai fait quelques pas en arrière, pour avoir une vue d'ensemble. Sa carcasse, tombée là, et ce graffiti – plus je regardais et plus c'était beau. Le sordide et le niais. On n'en voit pas souvent des comme ça.
C'était presque parfait, mais sa pose, ça n'allait pas. Il manquait quelque chose. Donc je me suis approché à nouveau, et je me suis accroupi à côté de lui. Il faisait toujours l'innocent, mais on ne me la fait pas à moi.
Hé bonhomme, c'est pas mal du tout, mais ça pourrait être encore mieux. Il faudrait juste... que tu tournes un peu la tête... là, comme ça... voilà. Maintenant courbe-toi un peu, comme ça... – en même temps je le guidais, c'était un timide – voilà... creuse encore un peu les épaules, il faut qu'on voie les clavicules... là, c'est presque parfait... encore un peu...  J'ai reculé pour avoir une vue d'ensemble. C'était presque ça. Je suis retourné auprès de lui, j'ai retouché deux ou trois détails – les jambes tendues, trop solennel – corrigé encore un peu l'inclinaison de la tête ; c'était bon.



Encore une fois j'ai pris du recul, et là vraiment c'était éclatant. Une telle force dans la prostration, et la porte du rêve ! Alors une dernière fois je me suis approché de lui ; j'avais les larmes aux yeux tellement c'était beau. Je me suis baissé – il me regardait toujours avec ses billes noires – et je lui ai dit : « Monsieur, vous êtes un génie. »
Puis j'ai refait quelques pas en arrière pour me placer à une distance convenable. Il n'y avait plus rien à retoucher. Je me trouvais en face de lui, juste là. Le moment était venu.
Si quelqu'un était passé par là, il aurait vu le clochard par terre, la porte du rêve sur le mur, et un homme avec un ample manteau noir, presque une cape, qui sautait en faisant de grands gestes. Il dansait.

Corentin Jegou
2°  prix


Nouvelles primées au concours interne du lycée : De l'influence des rafales de vent du Luxembourg sur un bouton d’ascenseur, de Nebiha Guiga HK1






Un homme était assis sur un banc public dans le jardin du Luxembourg. Il avait la tête dans les mains et paraissait réfléchir. Quelqu’un qui se serait approché de lui aurait remarqué qu’il avait l’air triste. Mais il n’y avait personne. C’était une fin d’après-midi d’automne, froide et venteuse, un vendredi, et nul ne se promenait près de ce banc un peu isolé du jardin. L’homme marmonnait. Il avait passé une journée très désagréable : il avait un poste d’employé de bureau et s’y ennuyait prodigieusement. Pour ne rien arranger, ses collègues l’aimaient peu, car il était peu sociable ce qu’on prenait pour du mépris. Ils se moquaient de lui, de ses manies un peu bizarres et de son prénom, qui l’était aussi. C’est à cela qu'il songeait en ce jour froid de novembre. Mais qu’est-ce qui avait pris à sa mère d’aller l’appeler Kléber ! En fait il le savait : sa mère, décidée à n’avoir qu’un seul enfant avait voulu contenter par le choix du prénom les deux grands-pères, qui étaient très différents. Et elle n’avait trouvé comme point d'entente que Kléber : c’était le nom de l’un des deux hommes et l’autre était passionné d’histoire et affectionnait particulièrement la biographie de ce général de la Révolution française, mort assassiné au Caire le jour de la bataille de Marengo, le 14 juin 1800. Mais tout de même pensait-il, quelle idée saugrenue.
            Il en était là de son ressassement quand un coup de vent plus fort que les autres agita les arbres du jardin et emporta toutes les choses légères qui se trouvaient à terre. Kléber ne l’aurait pas remarqué si cette rafale n’avait eu pour effet de lui faire arriver sur le visage un papier collant et sale. Il proféra une série de jurons bien sentis choisis dans le répertoire du capitaine Haddock. Il retira le papier de son visage et y jeta un oeil. Le papier était sale et déchiré en plusieurs endroits mais on pouvait encore y voir une photographie, celle d’une porte d'ascenseur sur laquelle était dessiné un personnage tout blanc. Le bouton de l'ascenseur était entouré et on pouvait lire “porte du rêve”, et plus bas “appuyez ici en y croyant très fort”. Sous la photo, malgré une déchirure du papier, on parvenait à déchiffrer un nom : Jérôme Mesnager, qui paraissait être le nom de l’auteur du dessin.
            Kléber regarda soigneusement le papier puis le plia en quatre (en faisant attention à ce que la pliure soit bien droite, comme il aimait que cela soit), et il le rangea dans sa poche. Il sourit, ce qui ne lui était pas arrivé depuis longtemps, il se leva et il rentra chez lui, dans le douzième. Il monta les cinq étages de son immeuble, sans ascenseur. Cela ne le dérangeait pas : c’était moins cher, et de toute façon, il détestait les ascenseurs. Arrivé chez lui, il alluma son ordinateur et le démarrage de la machine lui parut interminable. Il avait décidé de trouver cette porte. L’oeuvre l’avait marqué, même ainsi, simplement sur une photo salie et il voulait essayer d’appuyer sur ce bouton. D’instant en instant son espérance augmentait. Il croyait maintenant, au plus profond de lui-même, que cet artiste, ce Jérôme Mesnager, avait vraiment trouvé la porte du rêve.
            Enfin l’appareil se mit en marche en émettant son ronronnement habituel que Kléber trouvait apaisant. Il s’assit devant l'écran, ouvrit internet et chercha des informations sur cette oeuvre. Il trouva le site de l’artiste, mais qui ne mentionnait pas cette oeuvre là en particulier. Il apprit toutefois que l’homme peignait principalement dans les rues et immeubles du XXe arrondissement de Paris, même s’il le faisait parfois aussi ailleurs. Ce fut un soulagement pour Kléber qui se dit qu’au moins il n’aurait pas à traverser la moitié de la planète, ce qui valait mieux pour son compte en banque pas franchement florissant.
            Il regarda sa montre et bailla. Il avait passé beaucoup de temps sur son ordinateur et même s’il n’était que neuf heures, il était fatigué. Il se dit qu’il avait probablement trouvé tout ce qu’il pouvait sur le net et il était de toute façon trop épuisé pour faire quoi que ce soit d’intelligent. Et demain, c’est samedi, pensa-t-il, ce qui lui laissait tout le temps pour s’y remettre pendant le week-end. Il faut dire que le problème lui paraissait de plus en plus insoluble : comment, dans une ville aussi grande que Paris et peut-être même ailleurs même si pour le moment il préférait oublier cette éventualité, trouver une porte d'ascenseur sur laquelle serait le dessin ? Surtout avec son peu de talent pour l’informatique : il savait se servir du traitement de texte, du tableur, et très mal, de google. Ses dons de communication avec ses semblables, au téléphone ou en tête à tête étaient encore plus faibles et l’aideraient encore moins. Il aimait bien les proverbes et se dit que la nuit lui porterait sûrement conseil. Et il alla se coucher.
            Dans la nuit, il fit un rêve. Il se trouvait devant la porte d'ascenseur, la porte du rêve et il s'apprêtait à appuyer sur le bouton. A ce moment-là, il s’aperçut qu’il rêvait. Mais il ne se réveilla pas. Il faisait partie de ces gens qui sont capables de contrôler quelques minutes le cours de leurs rêves. Il décida de ne pas appuyer sur ce bouton : à quoi cela pourrait-il bien lui servir ? Par contre il allait essayer de déterminer où était cette porte. Il se retourna et chercha l’escalier. Il ne le trouvait pas et sentait qu’il allait bientôt se réveiller : il ne pouvait jamais garder longtemps la maîtrise de ses rêves. Alors il courut jusqu’à la fenêtre la plus proche et regarda.  Il se trouvait dans un immeuble haussmannien, au deuxième étage. Il se hissa sur la pointe des pieds pour voir ce qui se passait en bas. Les images de son rêve devenaient de plus en plus floues. Il parvint cependant à repérer une plaque de rue et à la déchiffrer. Il se trouvait dans le XVIe, rue Massenet. Il se réveilla. Il était essoufflé et couvert de sueur. Il nota à l’instant le nom de la rue et l’étage dont il venait de rêver. Même si cela était bien loin des quartiers habituels où opérait l’artiste, et peut-être même à cause de cela, il était persuadé que son rêve lui avait fourni le lieu où se trouvait réellement l’objet de sa quête, la porte du rêve. Il réfléchit un instant, et tant que l’image était encore claire dans sa tête, il en fit un rapide croquis. Il dessinait plutôt bien et cela lui permettrait sûrement de reconnaître l’immeuble de son rêve.
Il regarda sa montre, posée sur sa table de nuit. Elle indiquait huit heures moins le quart. Kléber, qui était de toute manière trop excité pour se rendormir, se leva et alla prendre une douche. Il n’y resta que le temps minimum pour se laver : il était très impatient de localiser cette rue Massenet qu’il ne connaissait pas : elle était bien loin de son quartier habituel.
            Une fois douché et vêtu à la va-vite d’un jean usé et d’un pull qui un jour avait été rouge, il se lança à la recherche de son plan de Paris. Comme il faisait le même trajet tous les jours et qu’il sortait peu, celui-ci n’avait pas était utilisé depuis longtemps et il avait complètement oublié où il l’avait rangé. Il finit toutefois par le dénicher, à un endroit somme toute assez logique : avec sa collection de guides de voyage. Bien que partant peu, il avait en effet de multiples guides, restes d'envies de voyages qui n’avaient jamais dépassé ce stade de l’achat du guide. Il y en avait de toutes les couleurs, formes et tailles, soigneusement classés dans un coin de sa chambre.
            Il s’assit sur une chaise à côté de son lit et il ouvrit le plan à l’index. Il trouva la rue Massenet. Il découvrit que cette rue donnait sur la rue de Passy, la station la plus proche, La Muette, sur la 9. Il décida d’y aller le jour même. Il prit un manteau, le plan de Paris, mit ses chaussures et dévala les escaliers. Il prit le métro. Ce fut long, il lui fallait traverser la moitié de Paris. Mais il finit par y arriver. Il sortit du métro et marcha. Dix minutes plus tard il était dans la rue.  Là, il découvrit qu’elle était plutôt longue et que tous les immeubles se ressemblaient. Et que bien sûr, ils étaient tous fermés, avec un code. Personne ne passait dans la rue. Il ne lui serait pas facile de vérifier. Par contre, il était au moins sûr d’être dans la bonne rue : il la reconnaissait, elle était comme dans son rêve. Il prit son croquis et se demanda quel immeuble y ressemblait le plus. Il en vit un, plein de moulures, au milieu de la rue, qui aurait pu convenir. Il lui semblait toutefois que quelque chose ne collait pas, même s'il ignorait au juste quoi. Et puis il se demandait jusqu’où ce rêve qu’il croyait prémonitoire, serait fiable. Après tout pourquoi n’y aurait-il pas quelques détails différents entre la réalité et son rêve ? Alors qu’il hésitait, une femme entra dans l’immeuble. Il se dit qu’une autre chance comme celle-là ne se présenterait peut-être plus, et que de toute façon, il pouvait difficilement rester encore longtemps dans la rue sans attirer l’attention. Il entra à la suite de la femme qui lui tînt même la porte : elle ne l’avait même pas regardé. Il s’engouffra à sa suite et trouva l’escalier, à sa gauche. Il monta. La femme, elle prenait l’ascenseur. Il se dit qu’il ferait mieux de monter lentement : si jamais cette femme allait comme lui au deuxième et le voyait, il serait fichu : elle connaissait sûrement ses voisins de palier et il n’en faisait pas partie. Il resta donc quelques temps dans l’escalier, espérant que personne ne l’utiliserait alors qu’il y était caché. Les minutes passèrent. Au bout d’un petit quart d’heure (il avait pris en compte la peu probable éventualité d’un bavardage avec la voisine), il se remit en route. Arrivé au deuxième étage, il était plutôt essoufflé car il n’était pas vraiment sportif. Il ouvrit la porte de l’escalier et se trouva sur le palier, composé de seulement deux portes. Au fond, une porte d'ascenseur, qui ne ressemblait en rien à la porte du rêve : c’était un vieil ascenseur exigu, à la porte en bois. Et aucun dessin dessus. Il n’y avait pas de fenêtre sur le palier. C’est à ce moment qu’il réalisa qu’il était très rare qu’il y en ait et il commença à douter de son rêve. Il redescendit les escaliers, découragé. Il sortit de l’immeuble.
            Quand il se retrouva dans la rue, il se trompa de sens pour aller vers le métro. Il marcha, la tête basse, jusqu’au bout de la rue avant de s’en apercevoir, en tombant sur la plaque de la rue Vital, qu’il n’allait pas dans le bon sens. Et alors il comprit que l’immeuble dans lequel il était entré ne pouvait aucunement être le bon : s’il avait vu une plaque de rue, c’est qu’il était à un croisement avec une autre. Or l’immeuble qu’il avait visité n’était proche d’aucune intersection. Il reprit courage. A sa droite, il y avait un immeuble haussmannien également très orné, duquel il aurait effectivement pu voir une plaque de rue. Il regarda son croquis. Cela lui parut ressemblant. Mais l'immeuble paraissait fermé. Il y avait, semblait-il, un concierge. Cet immeuble était particulièrement cossu et parcouru par des fils qui pouvaient être ceux de caméras ou d'alarmes. Il ne vit rien de tout cela.  Il n’avait rien d’un cambrioleur, et n’était même pas particulièrement observateur.
            Kléber avait décidé d’entrer. Il traversa la rue et fit semblant de regarder son plan de Paris. Il pensait passer ainsi pour un touriste perdu et ne pas attirer l’attention. Ce qu’il ne savait pas c’est que le concierge de l’immeuble avait repéré ses allées et venues et le trouvait particulièrement suspect, d’autant que son habillement tranchait avec le style huppé du quartier.
            Un homme arriva, s’approcha de l’immeuble, fit le code, ouvrit la porte. Kléber, qui s’était rapproché, réussit à voir le code que l’homme avait composé. Ne voulant pas passer derrière l’homme, qui lui paraissait peu aimable, il résolut de revenir plus tard. Il  partit prendre un café.
            Le concierge avait suivi tout le manège de Kléber. Il était pratiquement sûr d’avoir affaire à un voleur : il savait, lui (contrairement à Kléber), que les appartements de cet immeuble renfermaient de nombreux objets de valeur. Il appela le commissariat de police et obtint qu’une voiture de patrouille soit à proximité, au cas où.
            Une heure plus tard, il était alors bientôt midi, Kléber revint. Il avait eu du mal à trouver un café dans ce quartier quelque peu mort et du fait du prix exorbitant auquel il l’avait payé, il l’avait longuement siroté. Il vit mais ne fit pas attention à la voiture de police stationnée dans la rue de Passy. Les policiers, par contre, qui avaient reçu son signalement, se préparèrent à intervenir si le concierge le leur demandait.
            Kléber parcourut la rue Massenet jusqu’à l’immeuble qu’il cherchait. Il traversa la rue, s’approcha de la porte et composa le code dont il se souvenait. Il entra. Au même moment, le concierge donnait l’alerte. La voiture de police démarra et mit la sirène, même si elle n’avait qu’une centaine de mètres à parcourir. Alors Kléber se souvint de la voiture de police qu’il avait entr’aperçue et vit le concierge dans sa loge. Il comprit que c’était pour lui. Il aurait encore pu faire demi-tour et s’enfuir, mais ça aurait été renoncer à tout espoir de jamais trouver la porte du rêve : il n’aurait pas une deuxième chance et cette fois il était sûr qu’il était au bon endroit.
            Il décida de continuer. A vrai dire, il n’avait hésité que quelques secondes. Il trouva la cage d’escalier et les monta quatre à quatre. La voiture de police était arrivée et le concierge ouvrait au deux policiers auxquels il montra l’escalier. Kléber, tout essoufflé, arrivait au deuxième étage. Il entendait les policiers, un peu plus sportifs que lui, entamer la montée. Il ouvrit la porte de l’escalier. Ce qu’il vit tout d’abord, ce fut une fenêtre, celle par laquelle il avait regardé dans son rêve, cette fenêtre si incongrue sur un palier. Il ne s’attarda pas. Au fond du petit couloir il repéra la porte d'ascenseur. Grise. Juste de la bonne couleur. Et avec le dessin recherché. Il aurait bien aimé le contempler, prendre son temps, mais du temps, il n’en avait pas, les pas des policiers approchaient. Il courut jusqu’à la porte et appuya, très fort, sur le bouton. Il y croyait. Il le fallait car il n’avait aucune envie de finir sa journée en garde-à-vue.
            Les policiers ahanants parvinrent au deuxième étage. Ils allaient ouvrir la porte de l’escalier. Kléber les entendit. Il était terrifié, rien ne se passait. A cet instant, La porte de l'ascenseur s’ouvrit. Il entra et la porte se referma. 

            Le bouton de la porte de l'ascenseur était cassé, tant Kléber avait appuyé fort. Ce fut le seul dommage, d’ailleurs, car les policiers ne retrouvèrent pas Kléber. Et l’assurance en fut quitte pour le remplacement d’un bouton d'ascenseur, abîmé par les rafales du vent d’automne du jardin du Luxembourg. 
Nebiha Guiga 
1° prix

Nouvelles primées au concours interne du lycée Fénelon niveau prépas : Le Pierrot , d''Alexis Trouillot MP


L’antichambre

Il se trouvait de l’autre côté de la porte. Devant lui se tenait un long
couloir plongé dans l’ombre. Il avança timidement. Il ne se souvenait ni de son
nom, ni de l’endroit où il se trouvait, ni de comment il y était arrivé. Il avait un
vague souvenir d’une dénommée Flore mais c’était tout.
« Rebonjour », dit une voix douce.
Il sursauta. Quelque chose luisait au fond du couloir.
« Alors vous revoilà ? Vous avez fait le bon choix ! »
Il resta muet. La lueur se rapprocha. En fait, il s’agissait d’un étrange être blanc
de pied en cap. Ses lèvres noires arboraient un sourire démesuré qui contrastait
avec ses yeux gris et froids. Deux trainées noires partaient de ses yeux.
« Qui êtes-vous ? », demanda-t-il.
L’autre inclina sa tête blanche sur le côté.
« Vous n’avez pas bonne mémoire n’est-ce pas ?
- Pardon?
- Je suis le Pierrot, une de vos vielles connaissances. Je suis ici pour vous guider.
- Qui est Flore?
- Je l’ignore. Pour tout dire, ici les noms ont été abolis depuis longtemps. Ils
posaient trop de problèmes.
- Peut-être est-ce pour ça que je ne me souviens plus du mien ? supputa le garçon.
- Exactement. Votre nom a sans doute été saisi par les garde-frontières qui sont
assez stricts. Pensez : mon propre titre a été menacé d’expulsion. Nous avons
même sérieusement envisagé l’idée de nous marier lui et moi. Imaginez : « Le
Pierrot épouse « le Pierrot » », c’eut été d’un tel ridicule.
Non, ici nous préférons designer les choses par leur essence. Ainsi, si d’aventure on
me demande qui vous êtes je répondrais, vu la pertinence de la présente
conversation, que vous êtes un « Etre Terriblement Inintéressant ». Je suppose que
dans la vie courante cela donnerait ETI pour des raisons de commodité. Des
noms ! Je vous demande un peu !
- Donc pour ce qui est de Flore, insista ETI
- Je vous ai dit que je l’ignorais, votre ouïe serait-elle défaillante ? demanda le
Pierrot en levant un sourcil aussi noir que moqueur. D’ailleurs Flore est un nom
ridicule.
- C’est quelqu’un d’important pour moi ! répondit le garçon, outré.
- Oh vraiment ? A savoir ? »
Il se creusa la mémoire mais il restait incapable de dire qui elle était.
« Je ne m’en souviens plus, finit-il par admettre
- Et c’est bien normal, poursuivit le Pierrot d’un ton doctoral, voyez-vous, les gens
d’ici aspirent à oublier. C’est pour cela que dès que l’on passe la porte
on laisse son passé derrière soi. Il vous reste peut-être quelques bribes de votre ancienne vie, mais rassurez-vous : ces indésirables auront vite disparu.
Vous êtes ici là où vous avez voulu être et c’est tout ce qui compte. Par exemple, inutile de chercher à savoir si nous voulons de vous. C’est accessoire. Mais puisque vous insistez, la réponse est « non » »
L’incompréhension ainsi que le sentiment de s’être fait insulter à de très
nombreuses reprises en très peu de temps irritèrent le garçon.
« Monsieur, pour l’amour du ciel, que se passe-t-il ?
- C’est une chaussette ? », demanda le Pierrot en pointant le pied gauche de ETI.
Le garçon regarda à ses pieds. Effectivement, si son pied droit était nu, le gauche
était vêtu d’une chaussette d’un rouge particulièrement éclatant. L’être blanc la
regardait avec des yeux d’envie.
« Je vous la donne si vous voulez, dit-il en retirant le vêtement de son pied, mais
par pitié répondez moi !
- Oh merci, s’exclama le Pierrot dont le sourire prit des proportions affolantes,
Vous êtes toujours si généreux. »
Il prit la chaussette et l’inséra dans son oreille où elle disparut.
« Vous connaissez la maison. Deux portes : une entrée - oui, derrière vous -, une
sortie, et quelque part au milieu le monde que vous avez souhaité. Si vous avez
besoin d’aide, vous n’avez qu’à sonner.
- Amenez moi à la sortie »
Il y eut un silence.

« La sortie ? Quelle surprise, dit le Pierrot d’un ton ironique.
- Quoi encore? demanda le garçon avec humeur
- Voyez-vous, entrer ici est une chose mais en sortir est une tâche bien plus ardue.
Etes-vous sûr de vous?
- Oui ! Je dois aller voir quelqu’un.
- Qui donc ?
- Flore ! C’est la seule personne dont je me souvienne.
- Avec un nom pareil elle mérite pourtant d’être oubliée.
- Ca suffit ! Vous êtes ici pour m’aider n’est-ce pas ?
- Oui, oui... Bon, très bien, soupira le Pierrot, à titre d’information, eussiez
vous choisi de rester, vous auriez découvert un monde extraordinaire et conversé
avec des êtres tels que les Mascarilles et autres Crispins et autant vous dire que…
- Comment sortir ? , l’interrompit le garçon.
- Il nous faut un objet de grand pouvoir, bougonna le Pierrot.
- Allons bon.
- Plutôt rare.
- Oui? le pressa ETI, excédé.
- En fait en trouver une relève du miracle, bien que certaines personnes aient une
sorte de don pour cela.
- Et quel est cet objet ? demanda le jeune homme au bord de l’apoplexie.
- Une chaussette rouge.»
Le garçon cru qu’il allait exploser.
« Mais… Nous AVONS une chaussette rouge ! Je vous en ai donné une il y a cinq
minutes à peine !
- Justement, vous me l’avez donnée et…
- Je la reprends ! dis ETI avec brusquerie.
- J’ai bien peur que cela soit impossible. C’est très certainement de ma faute : ayant
oublié que vous étiez de nature lunatique, j’ai considéré cette chaussette comme
mienne. Je crains qu’elle soit à présent parfaitement inutilisable : à mon contact,
les choses deviennent blanches ou noires. J’ai bien conscience du caractère
affreusement manichéen de la chose et croyez bien que j’en suis désolé, mais le
fait est que votre chaussette ne peut à présent plus convenir.
- Et pourquoi diable faut-il une chaussette rouge ?
- Ecoutez, je ne fais pas les règles. Selon moi, s’il fallait une pantoufle verte ça
serait plus pratique. »
Le garçon inspira profondément.
« Et où peut-on se procurer des chaussettes ? »
« Rouge », ajouta-t-il précipitamment.


Les coulisses

Le Pierrot sembla réfléchir un long moment. Son regard était perdu devant lui. Il souriait toujours mais le sourire semblait n’être que de façade.
« Eh bien ? », demanda ETI.
« J’étais en train de me demander si il n’y avait aucun moyen pour moi
d’échapper à cette absurde requête en refusant, en vous offrant des fleurs ou en
vous tuant. Vous serez peut-être heureux d’apprendre qu’il n’en existe pas. En ce
qui me concerne je ne puis partager cette joie ». Il sembla se perdre a nouveau
dans ses pensées, son sourire se fit mélancolique et sa voix comme suppliante.
« Si seulement, si seulement je pouvais vous tuer ! Cela mettrait fin à… »
L’être blanc secoua la tête, comme s’il sortait d’un songe.
« Il m’apparait également nécessaire de vous apprendre que votre titre est à
présent : « Etre Affreusement Contrariant ». EAC pour les intimes.
- Les titres peuvent changer aussi facilement ? s’enquit faiblement EAC.
- Bien sûr ! On ne peut pas définir l’essence d’un être absolument ! Sauf à dire le
Pierrot, ou le Brighella.
- Ce n’est pas ce qui vous définit.
- Mais bien sûr que si ! On voit que vous avez passé la porte il y a peu de temps :
vous êtes aussi ridicule que les gardiens !
Le Pierrot n’est pas un nom. Pas plus que le Crispin ! Bien sûr que ce sont des
noms, mais c’est bien plus que cela ! Si quelqu’un vous dit qu’il est le Scapin,
vous comprenez tout de suite que…
- Attendez un peu ! L’interrompit le garçon, Scapin, Pierrot…
- Le Scapin et le Pierrot.
- Bref ! , coupa le garçon qui commençait à ressentir une légère migraine,
Sommes-nous dans un théâtre ?
- Oui, c’est ça. A vrai dire, je considérais ce fait comme acquis. »
Une porte apparut devant lui.
« Après vous », dit le Pierrot avec élégance.
EAC s’avança vers la porte et posa une dernière question avant de la franchir.
« D’accord, nous sommes dans un théâtre. Mais lequel exactement ? »
Mais le Pierrot ne répondit pas.


Ils se trouvaient dans un couloir aux murs bleus au fond duquel se trouvait
une mare luisante du même éclat que le Pierrot.
« C’est comme un rêve, murmura le garçon.
- Pas possible ? Encore une chose qui me semblait claire, railla le Pierrot, votre
capacité à énoncer des évidences est tout simplement prodigieuse. Je vous
donnerais bien une pièce pour saluer la performance mais nous avons des choses à
faire. Je vais plutôt changer votre titre en Enonceur d’Evidence ou encore…
- EE. Merci, je crois que j’ai compris le principe, marmonna EE.
- En fait, on dirait plutôt EdE », corrigea le Pierrot avec un sourire mutin.
Il désigna la mare.
« Voilà votre objectif.
- C’est là-bas que les chaussettes se trouvent ?
- Effectivement », répondit l’autre.
Ils se rapprochèrent silencieusement de l’eau.
Une fois arrivé, le Pierrot sortit de son oreille deux cannes à pêche et en tendit une
à EdE.
« Dépêchez-vous. Elles n’attendent pas, murmura-t-il.
- Que pêchons-nous ? », demanda le garçon en lançant sa ligne à l’eau.
Les yeux gris lui lancèrent un regard narquois.
« Vous n’avez décidément de cesse de repoussez les limites de l’ineptie. Et ce avec une déconcertante facilité. Mettez votre ligne à l’eau et réfléchissez donc
un peu. »
Ils restèrent silencieux un moment. Le garçon commençait à être fatigué. Il ne
comprenait pas sa situation. Il voulait retrouver Flore. Mais qui était-elle ? Au
prix d’un effort de mémoire colossal il se souvint que…
La ligne du Pierrot s’agita violement.
« Tiens. Une touche ! » dit-il simplement en tirant sa ligne de l’eau.
Il montra au garçon le magnifique mocassin pendu au bout de sa canne à pèche.
« Dommage: les garder est interdit. Il faut la remettre à l’eau. Les bureaucrates
sont décidément des êtres au-delà de ma compréhension! On n’a plus le droit de
pêcher que des chaussettes. C’est déjà bien, bien sûr. Mais les chaussures, ça a
tout de même plus de classe.
- Il y a aussi des bureaucrates dans les théâtres? Demanda le garçon en souriant un
peu.
- Bien sûr ! En fait, les plus grands esprits s’accordent à dire qu’un monde sans
bureaucrate ne peut exister. Le Figaro a écrit un excellent ouvrage là dessus
: de l’impossibilité d’un paradis, je vous le passerai à l’occasion. »
Le garçon rit de bon cœur. C’était bien la première fois. Peut-être qu’après tout le
Pierrot n’était pas si terrible. Bien sûr, il était inutilement sarcastique et pédant et
s’exprimait toujours de la manière la plus pompeuse qui soit mais il restait assez
humain et surtout avait l’air terriblement triste malgré son sourire et toutes ses
pitreries.
Ce fut au tour de la ligne d’EdE de se tendre. Il tira sur le manche de la canne a
pêche, révélant une chaussette d’un rouge éclatant.
« Une chaussette rouge ! Vous êtes décidément bien chanceux», souligna le
Pierrot d’une voix triste.
- Ca y est ? Je peux sortir ? Demanda-t-il avec espoir.
- Il vous suffit de la chausser, répondit le Pierrot.
Le garçon s’exécuta.







L’antichambre

«Alors vous revoilà ? C’est toujours un plaisir de vous voir ».
Il se trouvait a nouveau dans le couloir sombre. Mais cette fois, il faisait face à
une porte devant laquelle se tenait le Pierrot.
Pour la toute première fois, ce dernier ne souriait pas.
« Laissez moi passer !
- Etes-vous sûr de vous ? demanda le Pierrot d’une voix douce.
- Ce dont je veux me souvenir se trouve derrière cette porte n’est-ce pas ? »
Le Pierrot ne répondit pas. Il le regardait presque avec tendresse, et le garçon
avait l’impression de se perdre dans l’immensité de ses yeux gris.
« Vous ne devriez pas y aller. Votre malheur, c’est que ce que vous cherchez ne
se trouve derrière aucune porte. Pas même celle ci.
- J’y vais, quoi que vous disiez.
- S’il vous plait… N’y allez pas. Vous voir ainsi, encore et encore… Cela me
brise.», dit lentement le Pierrot.
Et des larmes noires coulaient de ses yeux gris sur son visage blanc, épaisses
comme de la peinture, tel des petites billes de jais sur une toile immaculée.
Le garçon avança vers la porte.
L’être blanc inspira profondément puis s’écarta lentement.
« Je serai avec vous, quoi qu’il arrive. Si vous avez besoin de moi, vous n’avez
qu’à sonner. On peut toujours passer de la scène aux coulisses.
- Vous allez attendre longtemps alors. Je ne veux plus revenir ici »
Le sourire du Pierrot reparut, un sourire las et désabusé.
« Au moins vous avez conservé votre sens de l’humour », murmura-t-il.
Et ses yeux gris étaient plus tristes que jamais.
Le garçon mit la main sur la poignée.
« Au revoir mon ami », dit une voix.
Il se retourna avec stupeur vers le Pierrot.
« Veuillez m’excuser, je pensais à quelqu’un d’autre, lui dit le Pierrot qui lui
tournait a présent le dos. C’est étrange. C’est quelqu’un que je ne connais pas
vraiment et nos entretiens, bien que récréatifs, sont rarement longs. C’est toujours
à peu près la même chose pour tout vous dire. Mais à force de le voir
régulièrement… Je nous imagine comme un lien… Mais de là à le définir comme
un ami… ». Puis, après un silence il ajouta :
« Allez y. Je ne vous retiens plus. »
L’ami du Pierrot ouvrit la porte et alors qu’il la franchissait, il entendit un sanglot.









La scène

Il se trouvait dans une pièce assez lumineuse. C’était une salle de bain au carrelage sobre. Il se souvint de l’endroit. Il était chez lui. Et ce constat fit poindre
en lui un sourd malaise. Il regarda autour de lui. Tout semblait normal : sur une
étagère, des vêtements pliés à la va-vite s’empilaient gaiment ; sur le miroir, une
brosse à dent bleue était accrochée par une ventouse. Et pourtant quelque chose
n’allait pas. Cela venait sans doute de la forme qui gisait sur le sol.

Il se rapprocha lentement, la peur au ventre. La mémoire lui revenait peu
à peu. La forme ne bougeait absolument pas. Elle semblait terriblement familière.
C’était le corps d’une femme. Il pleurait à présent sans savoir exactement
pourquoi. C’était Flore. Elle était parti chercher des chaussettes dans la salle de
bain. C’était Noël : elle voulait en mettre des rouges. Elle s’était effondrée.
Comme ca, sans raison. Il n’arrivait pas à y croire. Il se souvint de la douleur qui
lui avait déchirée le cœur. Il avait eu l’impression de devenir fou. Et à présent,
tout refluait. La peine qu’il avait oubliée s’était rappelée à lui.

Il prononça une phrase suppliante. A travers ses larmes il distingua une
porte. Elle était terne et sale comme les portes des vieux ascenseurs industriels.
Une silhouette blanche lui faisait signe. Il se leva péniblement et appuya sur la
sonnette. Il n’y eut aucun bruit et pourtant, quelques instants plus tard, la porte
s’ouvrit silencieusement. Il la franchit lentement. L’autre coté semblait calme,
chaleureux et familier. Il perçut un éclair de lumière blanche et puis l’ombre se fit.












L’antichambre

Il se trouvait de l’autre côté de la porte. Devant lui se tenait un long
couloir plongé dans l’ombre. Il avança timidement. Il ne se souvenait ni de son
nom, ni de l’endroit où il se trouvait, ni de comment il y était arrivé. Il avait un
vague souvenir d’une dénommée Flore mais c’était tout.
« Rebonjour », dit une voix douce.
Il sursauta. Quelque chose luisait au fond du couloir.
« Alors vous revoilà ? Vous avez fait le bon choix ! »
Il resta muet. La lueur se rapprocha. En fait, il s’agissait d’un étrange être blanc
de pied en cap. Ses lèvres noires arboraient un sourire démesuré qui contrastait
avec ses yeux gris et froids. Deux trainées noires partaient de ses yeux.

Alexis Trouillot


3° prix