Un homme était assis sur un banc public
dans le jardin du Luxembourg. Il avait la tête dans les mains et paraissait
réfléchir. Quelqu’un qui se serait approché de lui aurait remarqué qu’il avait
l’air triste. Mais il n’y avait personne. C’était une fin d’après-midi
d’automne, froide et venteuse, un vendredi, et nul ne se promenait près de ce
banc un peu isolé du jardin. L’homme marmonnait. Il avait passé une journée
très désagréable : il avait un poste d’employé de bureau et s’y ennuyait
prodigieusement. Pour ne rien arranger, ses collègues l’aimaient peu, car il
était peu sociable ce qu’on prenait pour du mépris. Ils se moquaient de lui, de
ses manies un peu bizarres et de son prénom, qui l’était aussi. C’est à cela
qu'il songeait en ce jour froid de novembre. Mais qu’est-ce qui avait pris à sa
mère d’aller l’appeler Kléber ! En fait il le savait : sa mère, décidée à
n’avoir qu’un seul enfant avait voulu contenter par le choix du prénom les deux
grands-pères, qui étaient très différents. Et elle n’avait trouvé comme point
d'entente que Kléber : c’était le nom de l’un des deux hommes et l’autre était
passionné d’histoire et affectionnait particulièrement la biographie de ce
général de la Révolution française, mort assassiné au Caire le jour de la
bataille de Marengo, le 14 juin 1800. Mais tout de même pensait-il, quelle idée
saugrenue.
Il
en était là de son ressassement quand un coup de vent plus fort que les autres
agita les arbres du jardin et emporta toutes les choses légères qui se
trouvaient à terre. Kléber ne l’aurait pas remarqué si cette rafale n’avait eu
pour effet de lui faire arriver sur le visage un papier collant et sale. Il
proféra une série de jurons bien sentis choisis dans le répertoire du capitaine
Haddock. Il retira le papier de son visage et y jeta un oeil. Le papier était
sale et déchiré en plusieurs endroits mais on pouvait encore y voir une
photographie, celle d’une porte d'ascenseur sur laquelle était dessiné un
personnage tout blanc. Le bouton de l'ascenseur était entouré et on pouvait lire
“porte du rêve”, et plus bas “appuyez ici en y croyant très fort”. Sous la
photo, malgré une déchirure du papier, on parvenait à déchiffrer un nom :
Jérôme Mesnager, qui paraissait être le nom de l’auteur du dessin.
Kléber
regarda soigneusement le papier puis le plia en quatre (en faisant attention à
ce que la pliure soit bien droite, comme il aimait que cela soit), et il le
rangea dans sa poche. Il sourit, ce qui ne lui était pas arrivé depuis
longtemps, il se leva et il rentra chez lui, dans le douzième. Il monta les
cinq étages de son immeuble, sans ascenseur. Cela ne le dérangeait pas :
c’était moins cher, et de toute façon, il détestait les ascenseurs. Arrivé chez
lui, il alluma son ordinateur et le démarrage de la machine lui parut
interminable. Il avait décidé de trouver cette porte. L’oeuvre l’avait marqué,
même ainsi, simplement sur une photo salie et il voulait essayer d’appuyer sur
ce bouton. D’instant en instant son espérance augmentait. Il croyait
maintenant, au plus profond de lui-même, que cet artiste, ce Jérôme Mesnager,
avait vraiment trouvé la porte du rêve.
Enfin
l’appareil se mit en marche en émettant son ronronnement habituel que Kléber
trouvait apaisant. Il s’assit devant l'écran, ouvrit internet et chercha des
informations sur cette oeuvre. Il trouva le site de l’artiste, mais qui ne
mentionnait pas cette oeuvre là en particulier. Il apprit toutefois que l’homme
peignait principalement dans les rues et immeubles du XXe arrondissement de
Paris, même s’il le faisait parfois aussi ailleurs. Ce fut un soulagement pour
Kléber qui se dit qu’au moins il n’aurait pas à traverser la moitié de la
planète, ce qui valait mieux pour son compte en banque pas franchement
florissant.
Il
regarda sa montre et bailla. Il avait passé beaucoup de temps sur son
ordinateur et même s’il n’était que neuf heures, il était fatigué. Il se dit
qu’il avait probablement trouvé tout ce qu’il pouvait sur le net et il était de
toute façon trop épuisé pour faire quoi que ce soit d’intelligent. Et demain,
c’est samedi, pensa-t-il, ce qui lui laissait tout le temps pour s’y remettre
pendant le week-end. Il faut dire que le problème lui paraissait de plus en
plus insoluble : comment, dans une ville aussi grande que Paris et peut-être
même ailleurs même si pour le moment il préférait oublier cette éventualité,
trouver une porte d'ascenseur sur laquelle serait le dessin ? Surtout avec son
peu de talent pour l’informatique : il savait se servir du traitement de texte,
du tableur, et très mal, de google. Ses dons de communication avec ses
semblables, au téléphone ou en tête à tête étaient encore plus faibles et
l’aideraient encore moins. Il aimait bien les proverbes et se dit que la nuit
lui porterait sûrement conseil. Et il alla se coucher.
Dans
la nuit, il fit un rêve. Il se trouvait devant la porte d'ascenseur, la porte
du rêve et il s'apprêtait à appuyer sur le bouton. A ce moment-là, il s’aperçut
qu’il rêvait. Mais il ne se réveilla pas. Il faisait partie de ces gens qui
sont capables de contrôler quelques minutes le cours de leurs rêves. Il décida
de ne pas appuyer sur ce bouton : à quoi cela pourrait-il bien lui servir ? Par
contre il allait essayer de déterminer où était cette porte. Il se retourna et
chercha l’escalier. Il ne le trouvait pas et sentait qu’il allait bientôt se
réveiller : il ne pouvait jamais garder longtemps la maîtrise de ses rêves.
Alors il courut jusqu’à la fenêtre la plus proche et regarda. Il se trouvait dans un immeuble haussmannien,
au deuxième étage. Il se hissa sur la pointe des pieds pour voir ce qui se
passait en bas. Les images de son rêve devenaient de plus en plus floues. Il
parvint cependant à repérer une plaque de rue et à la déchiffrer. Il se
trouvait dans le XVIe, rue Massenet. Il se réveilla. Il était essoufflé et
couvert de sueur. Il nota à l’instant le nom de la rue et l’étage dont il
venait de rêver. Même si cela était bien loin des quartiers habituels où
opérait l’artiste, et peut-être même à cause de cela, il était persuadé que son
rêve lui avait fourni le lieu où se trouvait réellement l’objet de sa quête, la
porte du rêve. Il réfléchit un instant, et tant que l’image était encore claire
dans sa tête, il en fit un rapide croquis. Il dessinait plutôt bien et cela lui
permettrait sûrement de reconnaître l’immeuble de son rêve.
Il regarda sa montre, posée sur sa table
de nuit. Elle indiquait huit heures moins le quart. Kléber, qui était de toute
manière trop excité pour se rendormir, se leva et alla prendre une douche. Il
n’y resta que le temps minimum pour se laver : il était très impatient de
localiser cette rue Massenet qu’il ne connaissait pas : elle était bien loin de
son quartier habituel.
Une
fois douché et vêtu à la va-vite d’un jean usé et d’un pull qui un jour avait
été rouge, il se lança à la recherche de son plan de Paris. Comme il faisait le
même trajet tous les jours et qu’il sortait peu, celui-ci n’avait pas était
utilisé depuis longtemps et il avait complètement oublié où il l’avait rangé.
Il finit toutefois par le dénicher, à un endroit somme toute assez logique : avec
sa collection de guides de voyage. Bien que partant peu, il avait en effet de
multiples guides, restes d'envies de voyages qui n’avaient jamais dépassé ce
stade de l’achat du guide. Il y en avait de toutes les couleurs, formes et
tailles, soigneusement classés dans un coin de sa chambre.
Il
s’assit sur une chaise à côté de son lit et il ouvrit le plan à l’index. Il
trouva la rue Massenet. Il découvrit que cette rue donnait sur la rue de Passy,
la station la plus proche, La Muette, sur la 9. Il décida d’y aller le jour
même. Il prit un manteau, le plan de Paris, mit ses chaussures et dévala les
escaliers. Il prit le métro. Ce fut long, il lui fallait traverser la moitié de
Paris. Mais il finit par y arriver. Il sortit du métro et marcha. Dix minutes
plus tard il était dans la rue. Là, il
découvrit qu’elle était plutôt longue et que tous les immeubles se
ressemblaient. Et que bien sûr, ils étaient tous fermés, avec un code. Personne
ne passait dans la rue. Il ne lui serait pas facile de vérifier. Par contre, il
était au moins sûr d’être dans la bonne rue : il la reconnaissait, elle était
comme dans son rêve. Il prit son croquis et se demanda quel immeuble y
ressemblait le plus. Il en vit un, plein de moulures, au milieu de la rue, qui
aurait pu convenir. Il lui semblait toutefois que quelque chose ne collait pas,
même s'il ignorait au juste quoi. Et puis il se demandait jusqu’où ce rêve
qu’il croyait prémonitoire, serait fiable. Après tout pourquoi n’y aurait-il
pas quelques détails différents entre la réalité et son rêve ? Alors qu’il
hésitait, une femme entra dans l’immeuble. Il se dit qu’une autre chance comme
celle-là ne se présenterait peut-être plus, et que de toute façon, il pouvait
difficilement rester encore longtemps dans la rue sans attirer l’attention. Il
entra à la suite de la femme qui lui tînt même la porte : elle ne l’avait même
pas regardé. Il s’engouffra à sa suite et trouva l’escalier, à sa gauche. Il
monta. La femme, elle prenait l’ascenseur. Il se dit qu’il ferait mieux de
monter lentement : si jamais cette femme allait comme lui au deuxième et le
voyait, il serait fichu : elle connaissait sûrement ses voisins de palier et il
n’en faisait pas partie. Il resta donc quelques temps dans l’escalier, espérant
que personne ne l’utiliserait alors qu’il y était caché. Les minutes passèrent.
Au bout d’un petit quart d’heure (il avait pris en compte la peu probable
éventualité d’un bavardage avec la voisine), il se remit en route. Arrivé au
deuxième étage, il était plutôt essoufflé car il n’était pas vraiment sportif.
Il ouvrit la porte de l’escalier et se trouva sur le palier, composé de
seulement deux portes. Au fond, une porte d'ascenseur, qui ne ressemblait en
rien à la porte du rêve : c’était un vieil ascenseur exigu, à la porte en bois.
Et aucun dessin dessus. Il n’y avait pas de fenêtre sur le palier. C’est à ce
moment qu’il réalisa qu’il était très rare qu’il y en ait et il commença à
douter de son rêve. Il redescendit les escaliers, découragé. Il sortit de
l’immeuble.
Quand
il se retrouva dans la rue, il se trompa de sens pour aller vers le métro. Il
marcha, la tête basse, jusqu’au bout de la rue avant de s’en apercevoir, en
tombant sur la plaque de la rue Vital, qu’il n’allait pas dans le bon sens. Et
alors il comprit que l’immeuble dans lequel il était entré ne pouvait aucunement
être le bon : s’il avait vu une plaque de rue, c’est qu’il était à un
croisement avec une autre. Or l’immeuble qu’il avait visité n’était proche
d’aucune intersection. Il reprit courage. A sa droite, il y avait un immeuble
haussmannien également très orné, duquel il aurait effectivement pu voir une
plaque de rue. Il regarda son croquis. Cela lui parut ressemblant. Mais
l'immeuble paraissait fermé. Il y avait, semblait-il, un concierge. Cet
immeuble était particulièrement cossu et parcouru par des fils qui pouvaient
être ceux de caméras ou d'alarmes. Il ne vit rien de tout cela. Il n’avait rien d’un cambrioleur, et n’était
même pas particulièrement observateur.
Kléber
avait décidé d’entrer. Il traversa la rue et fit semblant de regarder son plan
de Paris. Il pensait passer ainsi pour un touriste perdu et ne pas attirer
l’attention. Ce qu’il ne savait pas c’est que le concierge de l’immeuble avait
repéré ses allées et venues et le trouvait particulièrement suspect, d’autant
que son habillement tranchait avec le style huppé du quartier.
Un
homme arriva, s’approcha de l’immeuble, fit le code, ouvrit la porte. Kléber,
qui s’était rapproché, réussit à voir le code que l’homme avait composé. Ne
voulant pas passer derrière l’homme, qui lui paraissait peu aimable, il résolut
de revenir plus tard. Il partit prendre
un café.
Le
concierge avait suivi tout le manège de Kléber. Il était pratiquement sûr
d’avoir affaire à un voleur : il savait, lui (contrairement à Kléber), que les
appartements de cet immeuble renfermaient de nombreux objets de valeur. Il
appela le commissariat de police et obtint qu’une voiture de patrouille soit à
proximité, au cas où.
Une
heure plus tard, il était alors bientôt midi, Kléber revint. Il avait eu du mal
à trouver un café dans ce quartier quelque peu mort et du fait du prix
exorbitant auquel il l’avait payé, il l’avait longuement siroté. Il vit mais ne
fit pas attention à la voiture de police stationnée dans la rue de Passy. Les
policiers, par contre, qui avaient reçu son signalement, se préparèrent à
intervenir si le concierge le leur demandait.
Kléber
parcourut la rue Massenet jusqu’à l’immeuble qu’il cherchait. Il traversa la
rue, s’approcha de la porte et composa le code dont il se souvenait. Il entra.
Au même moment, le concierge donnait l’alerte. La voiture de police démarra et
mit la sirène, même si elle n’avait qu’une centaine de mètres à parcourir.
Alors Kléber se souvint de la voiture de police qu’il avait entr’aperçue et vit
le concierge dans sa loge. Il comprit que c’était pour lui. Il aurait encore pu
faire demi-tour et s’enfuir, mais ça aurait été renoncer à tout espoir de
jamais trouver la porte du rêve : il n’aurait pas une deuxième chance et cette
fois il était sûr qu’il était au bon endroit.
Il
décida de continuer. A vrai dire, il n’avait hésité que quelques secondes. Il
trouva la cage d’escalier et les monta quatre à quatre. La voiture de police
était arrivée et le concierge ouvrait au deux policiers auxquels il montra
l’escalier. Kléber, tout essoufflé, arrivait au deuxième étage. Il entendait
les policiers, un peu plus sportifs que lui, entamer la montée. Il ouvrit la
porte de l’escalier. Ce qu’il vit tout d’abord, ce fut une fenêtre, celle par
laquelle il avait regardé dans son rêve, cette fenêtre si incongrue sur un
palier. Il ne s’attarda pas. Au fond du petit couloir il repéra la porte
d'ascenseur. Grise. Juste de la bonne couleur. Et avec le dessin recherché. Il
aurait bien aimé le contempler, prendre son temps, mais du temps, il n’en avait
pas, les pas des policiers approchaient. Il courut jusqu’à la porte et appuya,
très fort, sur le bouton. Il y croyait. Il le fallait car il n’avait aucune
envie de finir sa journée en garde-à-vue.
Les
policiers ahanants parvinrent au deuxième étage. Ils allaient ouvrir la porte
de l’escalier. Kléber les entendit. Il était terrifié, rien ne se passait. A
cet instant, La porte de l'ascenseur s’ouvrit. Il entra et la porte se
referma.
Le
bouton de la porte de l'ascenseur était cassé, tant Kléber avait appuyé fort.
Ce fut le seul dommage, d’ailleurs, car les policiers ne retrouvèrent pas
Kléber. Et l’assurance en fut quitte pour le remplacement d’un bouton
d'ascenseur, abîmé par les rafales du vent d’automne du jardin du Luxembourg.
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