vendredi 8 juin 2012

Nouvelles primées au concours interne du lycée : De l'influence des rafales de vent du Luxembourg sur un bouton d’ascenseur, de Nebiha Guiga HK1






Un homme était assis sur un banc public dans le jardin du Luxembourg. Il avait la tête dans les mains et paraissait réfléchir. Quelqu’un qui se serait approché de lui aurait remarqué qu’il avait l’air triste. Mais il n’y avait personne. C’était une fin d’après-midi d’automne, froide et venteuse, un vendredi, et nul ne se promenait près de ce banc un peu isolé du jardin. L’homme marmonnait. Il avait passé une journée très désagréable : il avait un poste d’employé de bureau et s’y ennuyait prodigieusement. Pour ne rien arranger, ses collègues l’aimaient peu, car il était peu sociable ce qu’on prenait pour du mépris. Ils se moquaient de lui, de ses manies un peu bizarres et de son prénom, qui l’était aussi. C’est à cela qu'il songeait en ce jour froid de novembre. Mais qu’est-ce qui avait pris à sa mère d’aller l’appeler Kléber ! En fait il le savait : sa mère, décidée à n’avoir qu’un seul enfant avait voulu contenter par le choix du prénom les deux grands-pères, qui étaient très différents. Et elle n’avait trouvé comme point d'entente que Kléber : c’était le nom de l’un des deux hommes et l’autre était passionné d’histoire et affectionnait particulièrement la biographie de ce général de la Révolution française, mort assassiné au Caire le jour de la bataille de Marengo, le 14 juin 1800. Mais tout de même pensait-il, quelle idée saugrenue.
            Il en était là de son ressassement quand un coup de vent plus fort que les autres agita les arbres du jardin et emporta toutes les choses légères qui se trouvaient à terre. Kléber ne l’aurait pas remarqué si cette rafale n’avait eu pour effet de lui faire arriver sur le visage un papier collant et sale. Il proféra une série de jurons bien sentis choisis dans le répertoire du capitaine Haddock. Il retira le papier de son visage et y jeta un oeil. Le papier était sale et déchiré en plusieurs endroits mais on pouvait encore y voir une photographie, celle d’une porte d'ascenseur sur laquelle était dessiné un personnage tout blanc. Le bouton de l'ascenseur était entouré et on pouvait lire “porte du rêve”, et plus bas “appuyez ici en y croyant très fort”. Sous la photo, malgré une déchirure du papier, on parvenait à déchiffrer un nom : Jérôme Mesnager, qui paraissait être le nom de l’auteur du dessin.
            Kléber regarda soigneusement le papier puis le plia en quatre (en faisant attention à ce que la pliure soit bien droite, comme il aimait que cela soit), et il le rangea dans sa poche. Il sourit, ce qui ne lui était pas arrivé depuis longtemps, il se leva et il rentra chez lui, dans le douzième. Il monta les cinq étages de son immeuble, sans ascenseur. Cela ne le dérangeait pas : c’était moins cher, et de toute façon, il détestait les ascenseurs. Arrivé chez lui, il alluma son ordinateur et le démarrage de la machine lui parut interminable. Il avait décidé de trouver cette porte. L’oeuvre l’avait marqué, même ainsi, simplement sur une photo salie et il voulait essayer d’appuyer sur ce bouton. D’instant en instant son espérance augmentait. Il croyait maintenant, au plus profond de lui-même, que cet artiste, ce Jérôme Mesnager, avait vraiment trouvé la porte du rêve.
            Enfin l’appareil se mit en marche en émettant son ronronnement habituel que Kléber trouvait apaisant. Il s’assit devant l'écran, ouvrit internet et chercha des informations sur cette oeuvre. Il trouva le site de l’artiste, mais qui ne mentionnait pas cette oeuvre là en particulier. Il apprit toutefois que l’homme peignait principalement dans les rues et immeubles du XXe arrondissement de Paris, même s’il le faisait parfois aussi ailleurs. Ce fut un soulagement pour Kléber qui se dit qu’au moins il n’aurait pas à traverser la moitié de la planète, ce qui valait mieux pour son compte en banque pas franchement florissant.
            Il regarda sa montre et bailla. Il avait passé beaucoup de temps sur son ordinateur et même s’il n’était que neuf heures, il était fatigué. Il se dit qu’il avait probablement trouvé tout ce qu’il pouvait sur le net et il était de toute façon trop épuisé pour faire quoi que ce soit d’intelligent. Et demain, c’est samedi, pensa-t-il, ce qui lui laissait tout le temps pour s’y remettre pendant le week-end. Il faut dire que le problème lui paraissait de plus en plus insoluble : comment, dans une ville aussi grande que Paris et peut-être même ailleurs même si pour le moment il préférait oublier cette éventualité, trouver une porte d'ascenseur sur laquelle serait le dessin ? Surtout avec son peu de talent pour l’informatique : il savait se servir du traitement de texte, du tableur, et très mal, de google. Ses dons de communication avec ses semblables, au téléphone ou en tête à tête étaient encore plus faibles et l’aideraient encore moins. Il aimait bien les proverbes et se dit que la nuit lui porterait sûrement conseil. Et il alla se coucher.
            Dans la nuit, il fit un rêve. Il se trouvait devant la porte d'ascenseur, la porte du rêve et il s'apprêtait à appuyer sur le bouton. A ce moment-là, il s’aperçut qu’il rêvait. Mais il ne se réveilla pas. Il faisait partie de ces gens qui sont capables de contrôler quelques minutes le cours de leurs rêves. Il décida de ne pas appuyer sur ce bouton : à quoi cela pourrait-il bien lui servir ? Par contre il allait essayer de déterminer où était cette porte. Il se retourna et chercha l’escalier. Il ne le trouvait pas et sentait qu’il allait bientôt se réveiller : il ne pouvait jamais garder longtemps la maîtrise de ses rêves. Alors il courut jusqu’à la fenêtre la plus proche et regarda.  Il se trouvait dans un immeuble haussmannien, au deuxième étage. Il se hissa sur la pointe des pieds pour voir ce qui se passait en bas. Les images de son rêve devenaient de plus en plus floues. Il parvint cependant à repérer une plaque de rue et à la déchiffrer. Il se trouvait dans le XVIe, rue Massenet. Il se réveilla. Il était essoufflé et couvert de sueur. Il nota à l’instant le nom de la rue et l’étage dont il venait de rêver. Même si cela était bien loin des quartiers habituels où opérait l’artiste, et peut-être même à cause de cela, il était persuadé que son rêve lui avait fourni le lieu où se trouvait réellement l’objet de sa quête, la porte du rêve. Il réfléchit un instant, et tant que l’image était encore claire dans sa tête, il en fit un rapide croquis. Il dessinait plutôt bien et cela lui permettrait sûrement de reconnaître l’immeuble de son rêve.
Il regarda sa montre, posée sur sa table de nuit. Elle indiquait huit heures moins le quart. Kléber, qui était de toute manière trop excité pour se rendormir, se leva et alla prendre une douche. Il n’y resta que le temps minimum pour se laver : il était très impatient de localiser cette rue Massenet qu’il ne connaissait pas : elle était bien loin de son quartier habituel.
            Une fois douché et vêtu à la va-vite d’un jean usé et d’un pull qui un jour avait été rouge, il se lança à la recherche de son plan de Paris. Comme il faisait le même trajet tous les jours et qu’il sortait peu, celui-ci n’avait pas était utilisé depuis longtemps et il avait complètement oublié où il l’avait rangé. Il finit toutefois par le dénicher, à un endroit somme toute assez logique : avec sa collection de guides de voyage. Bien que partant peu, il avait en effet de multiples guides, restes d'envies de voyages qui n’avaient jamais dépassé ce stade de l’achat du guide. Il y en avait de toutes les couleurs, formes et tailles, soigneusement classés dans un coin de sa chambre.
            Il s’assit sur une chaise à côté de son lit et il ouvrit le plan à l’index. Il trouva la rue Massenet. Il découvrit que cette rue donnait sur la rue de Passy, la station la plus proche, La Muette, sur la 9. Il décida d’y aller le jour même. Il prit un manteau, le plan de Paris, mit ses chaussures et dévala les escaliers. Il prit le métro. Ce fut long, il lui fallait traverser la moitié de Paris. Mais il finit par y arriver. Il sortit du métro et marcha. Dix minutes plus tard il était dans la rue.  Là, il découvrit qu’elle était plutôt longue et que tous les immeubles se ressemblaient. Et que bien sûr, ils étaient tous fermés, avec un code. Personne ne passait dans la rue. Il ne lui serait pas facile de vérifier. Par contre, il était au moins sûr d’être dans la bonne rue : il la reconnaissait, elle était comme dans son rêve. Il prit son croquis et se demanda quel immeuble y ressemblait le plus. Il en vit un, plein de moulures, au milieu de la rue, qui aurait pu convenir. Il lui semblait toutefois que quelque chose ne collait pas, même s'il ignorait au juste quoi. Et puis il se demandait jusqu’où ce rêve qu’il croyait prémonitoire, serait fiable. Après tout pourquoi n’y aurait-il pas quelques détails différents entre la réalité et son rêve ? Alors qu’il hésitait, une femme entra dans l’immeuble. Il se dit qu’une autre chance comme celle-là ne se présenterait peut-être plus, et que de toute façon, il pouvait difficilement rester encore longtemps dans la rue sans attirer l’attention. Il entra à la suite de la femme qui lui tînt même la porte : elle ne l’avait même pas regardé. Il s’engouffra à sa suite et trouva l’escalier, à sa gauche. Il monta. La femme, elle prenait l’ascenseur. Il se dit qu’il ferait mieux de monter lentement : si jamais cette femme allait comme lui au deuxième et le voyait, il serait fichu : elle connaissait sûrement ses voisins de palier et il n’en faisait pas partie. Il resta donc quelques temps dans l’escalier, espérant que personne ne l’utiliserait alors qu’il y était caché. Les minutes passèrent. Au bout d’un petit quart d’heure (il avait pris en compte la peu probable éventualité d’un bavardage avec la voisine), il se remit en route. Arrivé au deuxième étage, il était plutôt essoufflé car il n’était pas vraiment sportif. Il ouvrit la porte de l’escalier et se trouva sur le palier, composé de seulement deux portes. Au fond, une porte d'ascenseur, qui ne ressemblait en rien à la porte du rêve : c’était un vieil ascenseur exigu, à la porte en bois. Et aucun dessin dessus. Il n’y avait pas de fenêtre sur le palier. C’est à ce moment qu’il réalisa qu’il était très rare qu’il y en ait et il commença à douter de son rêve. Il redescendit les escaliers, découragé. Il sortit de l’immeuble.
            Quand il se retrouva dans la rue, il se trompa de sens pour aller vers le métro. Il marcha, la tête basse, jusqu’au bout de la rue avant de s’en apercevoir, en tombant sur la plaque de la rue Vital, qu’il n’allait pas dans le bon sens. Et alors il comprit que l’immeuble dans lequel il était entré ne pouvait aucunement être le bon : s’il avait vu une plaque de rue, c’est qu’il était à un croisement avec une autre. Or l’immeuble qu’il avait visité n’était proche d’aucune intersection. Il reprit courage. A sa droite, il y avait un immeuble haussmannien également très orné, duquel il aurait effectivement pu voir une plaque de rue. Il regarda son croquis. Cela lui parut ressemblant. Mais l'immeuble paraissait fermé. Il y avait, semblait-il, un concierge. Cet immeuble était particulièrement cossu et parcouru par des fils qui pouvaient être ceux de caméras ou d'alarmes. Il ne vit rien de tout cela.  Il n’avait rien d’un cambrioleur, et n’était même pas particulièrement observateur.
            Kléber avait décidé d’entrer. Il traversa la rue et fit semblant de regarder son plan de Paris. Il pensait passer ainsi pour un touriste perdu et ne pas attirer l’attention. Ce qu’il ne savait pas c’est que le concierge de l’immeuble avait repéré ses allées et venues et le trouvait particulièrement suspect, d’autant que son habillement tranchait avec le style huppé du quartier.
            Un homme arriva, s’approcha de l’immeuble, fit le code, ouvrit la porte. Kléber, qui s’était rapproché, réussit à voir le code que l’homme avait composé. Ne voulant pas passer derrière l’homme, qui lui paraissait peu aimable, il résolut de revenir plus tard. Il  partit prendre un café.
            Le concierge avait suivi tout le manège de Kléber. Il était pratiquement sûr d’avoir affaire à un voleur : il savait, lui (contrairement à Kléber), que les appartements de cet immeuble renfermaient de nombreux objets de valeur. Il appela le commissariat de police et obtint qu’une voiture de patrouille soit à proximité, au cas où.
            Une heure plus tard, il était alors bientôt midi, Kléber revint. Il avait eu du mal à trouver un café dans ce quartier quelque peu mort et du fait du prix exorbitant auquel il l’avait payé, il l’avait longuement siroté. Il vit mais ne fit pas attention à la voiture de police stationnée dans la rue de Passy. Les policiers, par contre, qui avaient reçu son signalement, se préparèrent à intervenir si le concierge le leur demandait.
            Kléber parcourut la rue Massenet jusqu’à l’immeuble qu’il cherchait. Il traversa la rue, s’approcha de la porte et composa le code dont il se souvenait. Il entra. Au même moment, le concierge donnait l’alerte. La voiture de police démarra et mit la sirène, même si elle n’avait qu’une centaine de mètres à parcourir. Alors Kléber se souvint de la voiture de police qu’il avait entr’aperçue et vit le concierge dans sa loge. Il comprit que c’était pour lui. Il aurait encore pu faire demi-tour et s’enfuir, mais ça aurait été renoncer à tout espoir de jamais trouver la porte du rêve : il n’aurait pas une deuxième chance et cette fois il était sûr qu’il était au bon endroit.
            Il décida de continuer. A vrai dire, il n’avait hésité que quelques secondes. Il trouva la cage d’escalier et les monta quatre à quatre. La voiture de police était arrivée et le concierge ouvrait au deux policiers auxquels il montra l’escalier. Kléber, tout essoufflé, arrivait au deuxième étage. Il entendait les policiers, un peu plus sportifs que lui, entamer la montée. Il ouvrit la porte de l’escalier. Ce qu’il vit tout d’abord, ce fut une fenêtre, celle par laquelle il avait regardé dans son rêve, cette fenêtre si incongrue sur un palier. Il ne s’attarda pas. Au fond du petit couloir il repéra la porte d'ascenseur. Grise. Juste de la bonne couleur. Et avec le dessin recherché. Il aurait bien aimé le contempler, prendre son temps, mais du temps, il n’en avait pas, les pas des policiers approchaient. Il courut jusqu’à la porte et appuya, très fort, sur le bouton. Il y croyait. Il le fallait car il n’avait aucune envie de finir sa journée en garde-à-vue.
            Les policiers ahanants parvinrent au deuxième étage. Ils allaient ouvrir la porte de l’escalier. Kléber les entendit. Il était terrifié, rien ne se passait. A cet instant, La porte de l'ascenseur s’ouvrit. Il entra et la porte se referma. 

            Le bouton de la porte de l'ascenseur était cassé, tant Kléber avait appuyé fort. Ce fut le seul dommage, d’ailleurs, car les policiers ne retrouvèrent pas Kléber. Et l’assurance en fut quitte pour le remplacement d’un bouton d'ascenseur, abîmé par les rafales du vent d’automne du jardin du Luxembourg. 
Nebiha Guiga 
1° prix

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