vendredi 8 juin 2012

Nouvelles primées au concours interne du lycée Fénelon niveau prépas : Le Pierrot , d''Alexis Trouillot MP


L’antichambre

Il se trouvait de l’autre côté de la porte. Devant lui se tenait un long
couloir plongé dans l’ombre. Il avança timidement. Il ne se souvenait ni de son
nom, ni de l’endroit où il se trouvait, ni de comment il y était arrivé. Il avait un
vague souvenir d’une dénommée Flore mais c’était tout.
« Rebonjour », dit une voix douce.
Il sursauta. Quelque chose luisait au fond du couloir.
« Alors vous revoilà ? Vous avez fait le bon choix ! »
Il resta muet. La lueur se rapprocha. En fait, il s’agissait d’un étrange être blanc
de pied en cap. Ses lèvres noires arboraient un sourire démesuré qui contrastait
avec ses yeux gris et froids. Deux trainées noires partaient de ses yeux.
« Qui êtes-vous ? », demanda-t-il.
L’autre inclina sa tête blanche sur le côté.
« Vous n’avez pas bonne mémoire n’est-ce pas ?
- Pardon?
- Je suis le Pierrot, une de vos vielles connaissances. Je suis ici pour vous guider.
- Qui est Flore?
- Je l’ignore. Pour tout dire, ici les noms ont été abolis depuis longtemps. Ils
posaient trop de problèmes.
- Peut-être est-ce pour ça que je ne me souviens plus du mien ? supputa le garçon.
- Exactement. Votre nom a sans doute été saisi par les garde-frontières qui sont
assez stricts. Pensez : mon propre titre a été menacé d’expulsion. Nous avons
même sérieusement envisagé l’idée de nous marier lui et moi. Imaginez : « Le
Pierrot épouse « le Pierrot » », c’eut été d’un tel ridicule.
Non, ici nous préférons designer les choses par leur essence. Ainsi, si d’aventure on
me demande qui vous êtes je répondrais, vu la pertinence de la présente
conversation, que vous êtes un « Etre Terriblement Inintéressant ». Je suppose que
dans la vie courante cela donnerait ETI pour des raisons de commodité. Des
noms ! Je vous demande un peu !
- Donc pour ce qui est de Flore, insista ETI
- Je vous ai dit que je l’ignorais, votre ouïe serait-elle défaillante ? demanda le
Pierrot en levant un sourcil aussi noir que moqueur. D’ailleurs Flore est un nom
ridicule.
- C’est quelqu’un d’important pour moi ! répondit le garçon, outré.
- Oh vraiment ? A savoir ? »
Il se creusa la mémoire mais il restait incapable de dire qui elle était.
« Je ne m’en souviens plus, finit-il par admettre
- Et c’est bien normal, poursuivit le Pierrot d’un ton doctoral, voyez-vous, les gens
d’ici aspirent à oublier. C’est pour cela que dès que l’on passe la porte
on laisse son passé derrière soi. Il vous reste peut-être quelques bribes de votre ancienne vie, mais rassurez-vous : ces indésirables auront vite disparu.
Vous êtes ici là où vous avez voulu être et c’est tout ce qui compte. Par exemple, inutile de chercher à savoir si nous voulons de vous. C’est accessoire. Mais puisque vous insistez, la réponse est « non » »
L’incompréhension ainsi que le sentiment de s’être fait insulter à de très
nombreuses reprises en très peu de temps irritèrent le garçon.
« Monsieur, pour l’amour du ciel, que se passe-t-il ?
- C’est une chaussette ? », demanda le Pierrot en pointant le pied gauche de ETI.
Le garçon regarda à ses pieds. Effectivement, si son pied droit était nu, le gauche
était vêtu d’une chaussette d’un rouge particulièrement éclatant. L’être blanc la
regardait avec des yeux d’envie.
« Je vous la donne si vous voulez, dit-il en retirant le vêtement de son pied, mais
par pitié répondez moi !
- Oh merci, s’exclama le Pierrot dont le sourire prit des proportions affolantes,
Vous êtes toujours si généreux. »
Il prit la chaussette et l’inséra dans son oreille où elle disparut.
« Vous connaissez la maison. Deux portes : une entrée - oui, derrière vous -, une
sortie, et quelque part au milieu le monde que vous avez souhaité. Si vous avez
besoin d’aide, vous n’avez qu’à sonner.
- Amenez moi à la sortie »
Il y eut un silence.

« La sortie ? Quelle surprise, dit le Pierrot d’un ton ironique.
- Quoi encore? demanda le garçon avec humeur
- Voyez-vous, entrer ici est une chose mais en sortir est une tâche bien plus ardue.
Etes-vous sûr de vous?
- Oui ! Je dois aller voir quelqu’un.
- Qui donc ?
- Flore ! C’est la seule personne dont je me souvienne.
- Avec un nom pareil elle mérite pourtant d’être oubliée.
- Ca suffit ! Vous êtes ici pour m’aider n’est-ce pas ?
- Oui, oui... Bon, très bien, soupira le Pierrot, à titre d’information, eussiez
vous choisi de rester, vous auriez découvert un monde extraordinaire et conversé
avec des êtres tels que les Mascarilles et autres Crispins et autant vous dire que…
- Comment sortir ? , l’interrompit le garçon.
- Il nous faut un objet de grand pouvoir, bougonna le Pierrot.
- Allons bon.
- Plutôt rare.
- Oui? le pressa ETI, excédé.
- En fait en trouver une relève du miracle, bien que certaines personnes aient une
sorte de don pour cela.
- Et quel est cet objet ? demanda le jeune homme au bord de l’apoplexie.
- Une chaussette rouge.»
Le garçon cru qu’il allait exploser.
« Mais… Nous AVONS une chaussette rouge ! Je vous en ai donné une il y a cinq
minutes à peine !
- Justement, vous me l’avez donnée et…
- Je la reprends ! dis ETI avec brusquerie.
- J’ai bien peur que cela soit impossible. C’est très certainement de ma faute : ayant
oublié que vous étiez de nature lunatique, j’ai considéré cette chaussette comme
mienne. Je crains qu’elle soit à présent parfaitement inutilisable : à mon contact,
les choses deviennent blanches ou noires. J’ai bien conscience du caractère
affreusement manichéen de la chose et croyez bien que j’en suis désolé, mais le
fait est que votre chaussette ne peut à présent plus convenir.
- Et pourquoi diable faut-il une chaussette rouge ?
- Ecoutez, je ne fais pas les règles. Selon moi, s’il fallait une pantoufle verte ça
serait plus pratique. »
Le garçon inspira profondément.
« Et où peut-on se procurer des chaussettes ? »
« Rouge », ajouta-t-il précipitamment.


Les coulisses

Le Pierrot sembla réfléchir un long moment. Son regard était perdu devant lui. Il souriait toujours mais le sourire semblait n’être que de façade.
« Eh bien ? », demanda ETI.
« J’étais en train de me demander si il n’y avait aucun moyen pour moi
d’échapper à cette absurde requête en refusant, en vous offrant des fleurs ou en
vous tuant. Vous serez peut-être heureux d’apprendre qu’il n’en existe pas. En ce
qui me concerne je ne puis partager cette joie ». Il sembla se perdre a nouveau
dans ses pensées, son sourire se fit mélancolique et sa voix comme suppliante.
« Si seulement, si seulement je pouvais vous tuer ! Cela mettrait fin à… »
L’être blanc secoua la tête, comme s’il sortait d’un songe.
« Il m’apparait également nécessaire de vous apprendre que votre titre est à
présent : « Etre Affreusement Contrariant ». EAC pour les intimes.
- Les titres peuvent changer aussi facilement ? s’enquit faiblement EAC.
- Bien sûr ! On ne peut pas définir l’essence d’un être absolument ! Sauf à dire le
Pierrot, ou le Brighella.
- Ce n’est pas ce qui vous définit.
- Mais bien sûr que si ! On voit que vous avez passé la porte il y a peu de temps :
vous êtes aussi ridicule que les gardiens !
Le Pierrot n’est pas un nom. Pas plus que le Crispin ! Bien sûr que ce sont des
noms, mais c’est bien plus que cela ! Si quelqu’un vous dit qu’il est le Scapin,
vous comprenez tout de suite que…
- Attendez un peu ! L’interrompit le garçon, Scapin, Pierrot…
- Le Scapin et le Pierrot.
- Bref ! , coupa le garçon qui commençait à ressentir une légère migraine,
Sommes-nous dans un théâtre ?
- Oui, c’est ça. A vrai dire, je considérais ce fait comme acquis. »
Une porte apparut devant lui.
« Après vous », dit le Pierrot avec élégance.
EAC s’avança vers la porte et posa une dernière question avant de la franchir.
« D’accord, nous sommes dans un théâtre. Mais lequel exactement ? »
Mais le Pierrot ne répondit pas.


Ils se trouvaient dans un couloir aux murs bleus au fond duquel se trouvait
une mare luisante du même éclat que le Pierrot.
« C’est comme un rêve, murmura le garçon.
- Pas possible ? Encore une chose qui me semblait claire, railla le Pierrot, votre
capacité à énoncer des évidences est tout simplement prodigieuse. Je vous
donnerais bien une pièce pour saluer la performance mais nous avons des choses à
faire. Je vais plutôt changer votre titre en Enonceur d’Evidence ou encore…
- EE. Merci, je crois que j’ai compris le principe, marmonna EE.
- En fait, on dirait plutôt EdE », corrigea le Pierrot avec un sourire mutin.
Il désigna la mare.
« Voilà votre objectif.
- C’est là-bas que les chaussettes se trouvent ?
- Effectivement », répondit l’autre.
Ils se rapprochèrent silencieusement de l’eau.
Une fois arrivé, le Pierrot sortit de son oreille deux cannes à pêche et en tendit une
à EdE.
« Dépêchez-vous. Elles n’attendent pas, murmura-t-il.
- Que pêchons-nous ? », demanda le garçon en lançant sa ligne à l’eau.
Les yeux gris lui lancèrent un regard narquois.
« Vous n’avez décidément de cesse de repoussez les limites de l’ineptie. Et ce avec une déconcertante facilité. Mettez votre ligne à l’eau et réfléchissez donc
un peu. »
Ils restèrent silencieux un moment. Le garçon commençait à être fatigué. Il ne
comprenait pas sa situation. Il voulait retrouver Flore. Mais qui était-elle ? Au
prix d’un effort de mémoire colossal il se souvint que…
La ligne du Pierrot s’agita violement.
« Tiens. Une touche ! » dit-il simplement en tirant sa ligne de l’eau.
Il montra au garçon le magnifique mocassin pendu au bout de sa canne à pèche.
« Dommage: les garder est interdit. Il faut la remettre à l’eau. Les bureaucrates
sont décidément des êtres au-delà de ma compréhension! On n’a plus le droit de
pêcher que des chaussettes. C’est déjà bien, bien sûr. Mais les chaussures, ça a
tout de même plus de classe.
- Il y a aussi des bureaucrates dans les théâtres? Demanda le garçon en souriant un
peu.
- Bien sûr ! En fait, les plus grands esprits s’accordent à dire qu’un monde sans
bureaucrate ne peut exister. Le Figaro a écrit un excellent ouvrage là dessus
: de l’impossibilité d’un paradis, je vous le passerai à l’occasion. »
Le garçon rit de bon cœur. C’était bien la première fois. Peut-être qu’après tout le
Pierrot n’était pas si terrible. Bien sûr, il était inutilement sarcastique et pédant et
s’exprimait toujours de la manière la plus pompeuse qui soit mais il restait assez
humain et surtout avait l’air terriblement triste malgré son sourire et toutes ses
pitreries.
Ce fut au tour de la ligne d’EdE de se tendre. Il tira sur le manche de la canne a
pêche, révélant une chaussette d’un rouge éclatant.
« Une chaussette rouge ! Vous êtes décidément bien chanceux», souligna le
Pierrot d’une voix triste.
- Ca y est ? Je peux sortir ? Demanda-t-il avec espoir.
- Il vous suffit de la chausser, répondit le Pierrot.
Le garçon s’exécuta.







L’antichambre

«Alors vous revoilà ? C’est toujours un plaisir de vous voir ».
Il se trouvait a nouveau dans le couloir sombre. Mais cette fois, il faisait face à
une porte devant laquelle se tenait le Pierrot.
Pour la toute première fois, ce dernier ne souriait pas.
« Laissez moi passer !
- Etes-vous sûr de vous ? demanda le Pierrot d’une voix douce.
- Ce dont je veux me souvenir se trouve derrière cette porte n’est-ce pas ? »
Le Pierrot ne répondit pas. Il le regardait presque avec tendresse, et le garçon
avait l’impression de se perdre dans l’immensité de ses yeux gris.
« Vous ne devriez pas y aller. Votre malheur, c’est que ce que vous cherchez ne
se trouve derrière aucune porte. Pas même celle ci.
- J’y vais, quoi que vous disiez.
- S’il vous plait… N’y allez pas. Vous voir ainsi, encore et encore… Cela me
brise.», dit lentement le Pierrot.
Et des larmes noires coulaient de ses yeux gris sur son visage blanc, épaisses
comme de la peinture, tel des petites billes de jais sur une toile immaculée.
Le garçon avança vers la porte.
L’être blanc inspira profondément puis s’écarta lentement.
« Je serai avec vous, quoi qu’il arrive. Si vous avez besoin de moi, vous n’avez
qu’à sonner. On peut toujours passer de la scène aux coulisses.
- Vous allez attendre longtemps alors. Je ne veux plus revenir ici »
Le sourire du Pierrot reparut, un sourire las et désabusé.
« Au moins vous avez conservé votre sens de l’humour », murmura-t-il.
Et ses yeux gris étaient plus tristes que jamais.
Le garçon mit la main sur la poignée.
« Au revoir mon ami », dit une voix.
Il se retourna avec stupeur vers le Pierrot.
« Veuillez m’excuser, je pensais à quelqu’un d’autre, lui dit le Pierrot qui lui
tournait a présent le dos. C’est étrange. C’est quelqu’un que je ne connais pas
vraiment et nos entretiens, bien que récréatifs, sont rarement longs. C’est toujours
à peu près la même chose pour tout vous dire. Mais à force de le voir
régulièrement… Je nous imagine comme un lien… Mais de là à le définir comme
un ami… ». Puis, après un silence il ajouta :
« Allez y. Je ne vous retiens plus. »
L’ami du Pierrot ouvrit la porte et alors qu’il la franchissait, il entendit un sanglot.









La scène

Il se trouvait dans une pièce assez lumineuse. C’était une salle de bain au carrelage sobre. Il se souvint de l’endroit. Il était chez lui. Et ce constat fit poindre
en lui un sourd malaise. Il regarda autour de lui. Tout semblait normal : sur une
étagère, des vêtements pliés à la va-vite s’empilaient gaiment ; sur le miroir, une
brosse à dent bleue était accrochée par une ventouse. Et pourtant quelque chose
n’allait pas. Cela venait sans doute de la forme qui gisait sur le sol.

Il se rapprocha lentement, la peur au ventre. La mémoire lui revenait peu
à peu. La forme ne bougeait absolument pas. Elle semblait terriblement familière.
C’était le corps d’une femme. Il pleurait à présent sans savoir exactement
pourquoi. C’était Flore. Elle était parti chercher des chaussettes dans la salle de
bain. C’était Noël : elle voulait en mettre des rouges. Elle s’était effondrée.
Comme ca, sans raison. Il n’arrivait pas à y croire. Il se souvint de la douleur qui
lui avait déchirée le cœur. Il avait eu l’impression de devenir fou. Et à présent,
tout refluait. La peine qu’il avait oubliée s’était rappelée à lui.

Il prononça une phrase suppliante. A travers ses larmes il distingua une
porte. Elle était terne et sale comme les portes des vieux ascenseurs industriels.
Une silhouette blanche lui faisait signe. Il se leva péniblement et appuya sur la
sonnette. Il n’y eut aucun bruit et pourtant, quelques instants plus tard, la porte
s’ouvrit silencieusement. Il la franchit lentement. L’autre coté semblait calme,
chaleureux et familier. Il perçut un éclair de lumière blanche et puis l’ombre se fit.












L’antichambre

Il se trouvait de l’autre côté de la porte. Devant lui se tenait un long
couloir plongé dans l’ombre. Il avança timidement. Il ne se souvenait ni de son
nom, ni de l’endroit où il se trouvait, ni de comment il y était arrivé. Il avait un
vague souvenir d’une dénommée Flore mais c’était tout.
« Rebonjour », dit une voix douce.
Il sursauta. Quelque chose luisait au fond du couloir.
« Alors vous revoilà ? Vous avez fait le bon choix ! »
Il resta muet. La lueur se rapprocha. En fait, il s’agissait d’un étrange être blanc
de pied en cap. Ses lèvres noires arboraient un sourire démesuré qui contrastait
avec ses yeux gris et froids. Deux trainées noires partaient de ses yeux.

Alexis Trouillot


3° prix

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