Aimer la vie
La
porte se referme. Doucement. Il aurait pu la claquer. Mais non.
Ce n'est pas ce qu'il veut. Ce n'est pas ce qui l'intéresse. Il est heureux de
sa décision de partir. De détourner le regard et de ne plus jamais revenir ici.
Il essuie le sang qui coule sur sa lèvre et se met à descendre les escaliers.
Il ne regarde pas derrière lui, il ne regrette rien. Il enlève le bandage blanc
qui entourait sa main et le laisse tomber par terre, comme une trainée de
neige.
Il
pousse la porte, et savoure l'air frais qui caresse son visage, ébouriffe ses
cheveux. Il avance d'un pas décidé. Il sait où il veut aller. Sa lèvre le
pique, mais il s'en moque. Tout ira mieux s'il y croit. Il tourne au coin d'une
rue. Passe sa main sur la pierre grise des bâtiments qu'il longe. Il regarde
droit devant lui, il sourit. Il oublie la douleur qui lui vrille le dos là où
il a reçut des coups. Ce ne sera qu'un souvenir. Il continue à marcher. Il
ferme les yeux quelques secondes pour sentir le vent sur son visage.
Il
tourne à droite. Passe devant un fleuriste. Un homme tout de vert et d'odeurs
de nature, qui attend, sur le palier de sa boutique. Il profite de la beauté de
ses fleurs et des sourires des passants. Le jeune homme le dépasse, le parfum
des plantes encore dans le nez. Il inspire profondément, s'en imprègne, comme
s'il était couché dans l'herbe. Il sent presque le soleil qui embrasserait sa
peau. Il entend presque le bourdonnement des insectes, le bourdonnement de
toute cette vie autour de lui.
Il
tourne à gauche. Puis à droite. Il croise ces deux enfants, qui ont la douceur
du sucre. Ils sont insouciants, joyeux. Leur bonheur se résume à des choses
aussi simples qu'un conte ou que quelques cartes à jouer. Ils lui rappellent
les comptines, la marelle, le jeu du chat. Ils lui rappellent les pains au
chocolat du mercredi après-midi. Il est heureux pour ces enfants. Ils lui
rappellent les parties de cache-cache, les maquillages d'animaux et les
déguisements de chevaliers.
Il
avance encore. Il voit ce garçon rouge, appuyé contre une voiture. Il sourit.
C'est une belle voiture. Une voiture qui doit le rendre fier, ce garçon rouge.
Qui doit le faire se sentir bien.
Aussi
bien que le garçon blanc qui sourit toujours en changeant de rue. Il lève les
yeux et voit ces arbres. Ces feuilles vertes qui font le ciel. Les trous de la
canopée lui font penser aux étoiles.
Il
baisse les yeux vers son chemin. Et il voit cette fille argentée qui vient dans
l'entre sens. Elle brille. Elle a l'air de voler quand elle marche. Ils échangent
un sourire, un regard. Et ce regard! Oh, ce regard! Ce regard est magique.
C'est un pas de danse, une révérence. Il y a dans leurs yeux quelque chose qui
ressemble à des sauts périlleux. C'est un battement de cils qui applaudit.
C'est l'audace de ne pas baisser la tête. C'est un murmure tendre qui disparaît
tandis qu'il avance encore.
Il
tourne encore. A gauche, à gauche, à droite, adroit, il évite ce vieillard tout
doux. Ce vieillard tout fort. Un vieillard qui a vécu, qui a rêvé. Comme il a
rêvé! Et comme il s'est battu pour ses rêves, ce vieillard digne et grand! Un
vieillard tout brun qui sent bon le cuir et le tabac à pipe. Ils échangent un
sourire bienveillant, un sourire qui promet une vie aussi longue, et aussi
belle, que celle du vieil homme. Puis ils se séparent.
Assis
sur un banc, il y a ce couple qui rayonne. Ce couple comme dans un autre monde.
Elle a la tête posée sur l'épaule du garçon qu'elle aime. Il la connait. Il est
heureux pour elle. Heureux de la voir heureuse. Ils sont beaux, ils sont
ensemble, ils se complètent. Il passe derrière eux sans un bruit, il sourit.
Il
entend le chant des oiseaux. Il lève les yeux et les voit, deux points dansant
dans le ciel parisien. Il sourit. Le monde est beau. Le monde est à lui.
Il
tourne sur lui-même. Le monde est beau. Il tourne encore. Il rit. Les gens le
regardent, étonnés. Ça l'amuse. Certains esquissent des sourires aussi. Il rit
d'un rire franc, qui vient du cœur. La vie est belle. Il se met à courir dans
les rues parisiennes. Il fait une pirouette pour éviter un passant. Se baisse
pour ne pas gâcher une photo. Il entend le bruit confus de conversations,
d'éclats de rire. Des souvenirs racontés, des histoires inventées. Des mots
d'amour, de la tendresse cachée. Il voit des regards amoureux, des regards
joyeux, des regards émerveillés. Il voit des signes de la main, il voit des
courses dans Paris. Il voit des dessins sur les murs, de vieilles affiches de
concert encore collées. Des chats qui marchent tranquillement. Il sent l'odeur des
boulangeries, des parfumeries, des marchands de journaux.
Il
court toujours, jusqu'à sentir sa poitrine le brûler, jusqu'à être totalement
seul dans des rues oubliées. Des rues désertes.
Quelque
part alentours, une fontaine coule. Des moineaux y boivent. Au dessus de lui,
au dessus des monuments, des cheminées et des gratte-ciels, le soleil brille,
et ça suffit à le rendre heureux.
Il
est face à une porte étrange. Une porte en métal, une porte d'ascenseur. Elle
n'a rien à faire là, mais plus personne ne vient s'en étonner. Il est dans un
endroit presque en dehors du monde. Son souffle est haletant devant cette porte
d'ascenseur. Il savoure chaque respiration. Il se sent vivant. Il sent son cœur
battre à tout rompre.
C'est
une porte qui n'est là que pour ceux qui la méritent. Ceux qui
en ont besoin, et ceux qui arrivent à croire.
Ce
garçon blanc, lui, croit en la
vie. Il croit en la vie qui coule dans ses veines. Il croit
en la vie qui l'entoure. Il la
respire. Il la caresse du bout des doigts. Il croit en une
vie qui lui appartient, et dont il est maître. Il croit en une vie qui est
belle, en une vie qu'il façonne. Il y croit dur comme fer. Il lui suffit de
regarder autour de lui pour voir à quel point la vie est belle! Et il sait, il
est absolument persuadé que tout ira bien. Il voit la beauté du monde. Elle est
tout autour de lui.
Il
inspire un peu plus d'air. Son cœur bat toujours à tout rompre. Un frisson
d'excitation le parcourt.
Il
n'a plus rien d'autre à perdre que l'espoir. Et il est si profondément ancré en
lui, si intimement lié à chacun de ses battements de cœur, que rien ne peut
l'arrêter. Il ne ressent aucun doute. Aucun impatience. Ce qui doit arriver
arrivera en temps voulu. Il sourit de plus belle. Croise ses doigts. Ferme les
yeux. Et en appuyant sur le bouton de cet ascenseur incongru dans cette ruelle
perdue, il prie pour une nouvelle vie.
Patricia Groubetitch
2° prix niveau secondaire, concours commun
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire