jeudi 24 mars 2011

Nouvelles primées par le lycée Fénelon, niveau lycée

Crime et bijouterie de Maïa Lazare, 2° prix



« Face à des événements aussi absurdes, rire était la seule réaction possible. D’ailleurs, le commissaire Styvet ne se priva pas de ricaner lorsqu’on lui annonça que la cause du décès des deux personnes retrouvées à Pearl Street hier soir était non identifiable. Les médecins interviewés nous ont confié que c’était déjà le sixième cas identique de ce dernier mois… » Voilà à peu près ce que l’on peut lire sur les journaux de ce 5 juillet, jetés en vrac dans le métro, dans les rues et sur les bancs. Plus personne ne fait vraiment attention à ces morts inhabituelles qui font presque partie de la vie quotidienne new-yorkaise. Ce que personne ne savait, c’était que la cause des décès n’avait pas pu lire le journal ce matin…

10 juin

Je me sens libre ! Oui, libre, moi, Samuel Borcos ! Vraiment libre pour la première fois depuis longtemps. Il y a quatre ans, je sortais enfin de dix ans à l’orphelinat et je laissais derrière moi mon enfance, que j’aimerais tant oublier. Mes huit premières années furent les plus heureuses de ma vie. Aux côtés de mon père et de ma mère, nous formions une famille parfaite et mes parents un couple idéal. C’est pourquoi je ne compris pas ce qui se passa ce soir-là. Mes parents m’avaient mis au lit avant de sortir. Je ne dormis pas et, comme à mon habitude, j’attendis qu’ils rentrent et que j’entende la porte claquer pour descendre l’escalier. Je les vis enlacés, dansant lentement au milieu du salon, ivres. Je les observai quelques minutes, sans savoir que j’allais être témoin d’une scène qui allait bouleverser ma vie entière. Mon père trébucha et fit tomber un vase de cristal que ma mère adorait. Saoule, ne contrôlant ni sa force ni ses gestes, elle frappa mon père à la tête avec une bouteille vide qui se brisa. Mon père ne se releva plus, et moi, je haïs ma mère. Détruite par sa mort, elle se mit à boire et à fumer.
Et, comme si elle n’avait pas déjà fait assez de mal, elle se prostitua. Chaque soir, elle ramenait un homme différent à la maison, m’emmenait dans des boîtes de nuit, et des bars mal fréquentés. Un soir, j’entendis des rires au rez-de-chaussée, et, lorsque je descendis, je trouvai ma mère, enlacée dans les bras d’un autre. C’était un homme plutôt grand, des cheveux noirs et courts, et des grandes mains velues qui caressaient, pour mon plus grand dégoût, le corps de ma mère. Ma haine ne fit qu’augmenter, et je pleurai jusqu’au lendemain. Le matin, ma mère m’emmena jusqu’à un grand bâtiment en briques, sur lequel était marqué « Tribunal de justice ». Pendant plus d’une heure, des paroles que je ne comprenais pas furent prononcées, mais ce que j’aperçus me souleva le cœur : une grande main velue, que je ne connaissais que trop bien, frappa un coup sec de maillet contre la table et j’entendis : « Non coupable ! ». Je n’adressai plus la parole à ma mère pendant des semaines, tant elle me répugnait. Mais je ne lui avais pas fermé mon cœur. Elle se serait excusée, rien qu’une fois, elle m’aurait dit qu’elle était désolée pour tout, j’aurais pu commencer à lui pardonner. Mais au lieu de cela, elle me fit la détester davantage. Pour ses trente ans, mon père lui avait offert un collier de perles qu’elle portait maintenant tous les jours. Un soir, un de ces soirs où l’on sortait d’un bar, on marcha dans la mauvaise rue, au mauvais moment. Un homme passa et le lui arracha. La flamme que je vis briller dans les yeux de ma mère me fit frissonner, tant elle était intense et pleine de haine. Elle sortit un couteau de son porte-jarretelles et poignarda le voleur. Une fois de plus, ma mère m’avait oublié et, lorsqu’on l’envoya en prison, je fus placé dans un orphelinat, où je passai huit longues années à l’envier, tant je vivais un enfer, et à la maudire, elle, et toutes les femmes du monde qui lui ressemblaient tant.

Pendant toutes ces années, j’ai pensé à un moyen de me venger d’elle, et des autres. Je ne parvenais pas à regarder les filles autour de moi sans que ma rancune se ravive. Je ne reçus jamais de nouvelles de ma mère, sauf le jour où l’on m’annonça sa mort. A partir de ce moment, je ne cessai de la détester, tant et si bien que je commençais à vouloir trouver quelque chose, un moyen de décharger cette haine que je ne pouvais contenir. Tous les moyens étaient bons, des plus diaboliques, aux plus subtils. Des idées ont commencé à mûrir dans mon esprit, dont celle d’ouvrir un magasin, disons… spécial. Je venais donc d’être libéré, et ce projet était resté intact dans ma tête. Je ne savais pas où aller, mais, quand je passai devant ce panneau « à vendre » accroché à une petite boutique de Pearl Street, je n’hésitai pas, et achetai ce magasin. Plus rien ni personne ne pourrait m’arrêter. Et, pendant quatre ans, je remis en état cette échoppe et j’élaborai le plan vicieux que j’avais mis au point. Je travaillais nuit et jour pour réaliser cette magnifique et fabuleuse invention, le Perleous Poisonnus : une sorte de poison lent et efficace à la fois. Et, ce matin, j’accrochai enfin à ma boutique l’enseigne : « Bijouterie Borcos ».



17 juin

Aujourd’hui, ma première cliente était là, devant moi, à ma portée... Jamais je n’ai regardé une femme de cette façon. Je la détaillai de la tête aux pieds : elle était grande, blonde, mince, de la taille d’un mannequin et ressemblait à ce que ma mère était devenue après la mort de mon père, c'est vous dire… Elle portait une mini-jupe affreusement courte, un haut outrageusement décolleté et ses escarpins étaient tellement hauts que ses jambes tremblaient.
Je la dévisageai longuement : ses yeux chargés de mascara et de fard à paupière, ses joues faussement roses et ses lèvres trop brillantes. J’aurais voulu lui cracher à la figure tant elle me répugnait, mais, à la place, je souris et lui demandais d’une voix artificielle :
« Que puis-je faire pour vous ? »
Elle me sourit, et me répondit d’une voix haut perchée qu’elle venait regarder. Elle resta presque une demi-heure, observant, manipulant, et surtout me souriant sans cesse.
Elle se dévêtait de plus en plus, du foulard de sa ceinture à sa veste, en continuant à me jeter des regards affriolants. J’avais bien vu qu’elle me charmait, mais je suis resté de marbre, ne cédant pas à ses atouts répugnants. Perchée sur ses talons bien trop hauts, elle se déhanchait autant qu’elle pouvait à chaque pas. Je ne sais toujours pas ce qu’elle aurait voulu que je fasse au moment où, fermant les rideaux, elle s’apprêta à enlever son haut trop échancré, mais ce dont je suis sûr, c’est qu’elle ne désirait sûrement pas que je lui saisisse violemment le bras, la poussant dehors. Je m’affalai contre la porte fermée, les mains tremblantes, les joues rouges et les lèvres serrées par la colère. Une haine telle me submergea que cela m’empêcha presque de respirer. Qu’est-ce que cette prostituée espérait? Que je succombe à ses charmes ? Évidemment, personne n’aurait pu deviner la puissance de la colère qui grondait en moi, ni ce dont j’étais capable. Mais j’ai fermé le magasin pour le reste de la journée, trop épuisé pour accueillir encore d’autres clientes de ce genre.

18 juin

Ce matin, j’ai eu droit à une nouvelle cliente. Comme celle de la veille, elle était vêtue d’une manière fort déplaisante. Son haut moulant laissait voir un scorpion noir tatoué sur le bas du dos, au creux des reins. J’évitai de la regarder, craignant un excès de violence de ma part. Elle fit quelques tours dans le magasin, s’arrêtant à chaque vitrine, regardant, fixant l’éclat des bijoux, une flamme avide au fond des yeux. Elle finit par s’immobiliser devant une parure de perles hors de prix. Je lui proposai aimablement de l’essayer et, après une courte hésitation, elle se décida. Le moment était enfin venu. Mes mains se mirent à trembler, le collier serré entre deux doigts. Je passai dans l’arrière boutique, lui disant que j’allais le lui préparer. Je sortis une barquette rectangulaire, versai fébrilement une fine couche d’un liquide visqueux, et y trempai le collier quelques secondes. J’enfilai des gants en latex pour le récupérer, le séchai légèrement, l’emballai, et revins devant ma cliente, souriant. Je lui donnai le paquet, les mains frissonnantes, encaissai, et lorsqu’elle sortit de la boutique je m’effondrai sur une chaise, le cœur battant à tout rompre. Ce soir, j’ai fermé un peu plus tôt, les lèvres encore crispées sur ce sourire trompeur.


22 juin

Je trouvai devant ma porte le journal quotidien que je dépliai machinalement. Je parcourais rapidement la première page, quand mon regard s'immobilisa. Mon cœur s’arrêta de battre un instant. Une photo d’un cadavre de femme illustrait l’encadré : « Une femme retrouvée morte dans des circonstances inexplicables ». Lorsque je regardai mieux le cliché, je poussai un cri de joie : sur le corps de la jeune femme, plus précisément au creux de ses reins, se trouvait un scorpion tatoué. Je posai le journal sur une table et me précipitai dans l’arrière boutique. J’empoignai un flacon et marquai : « Perleous Poisonnus, efficace au bout de cinq jours ».

29 juin

Ces derniers jours, une joie intense m’a envahi pendant que je vendais des bijoux. Je n’en ai vendu que cinq depuis le 10 juin, mais le regard de ces femmes impuissantes me ravissait le cœur plus que tout l’argent du monde. Mon bonheur me comblait et j’aurais pu vivre ainsi jusqu’à la fin de mes jours si seulement il n’y avait pas eu cette maudite journée. C’était jeudi dernier. La journée commençait pourtant bien, j’avais de nouveau découvert un de mes exploits dans le journal, et il était à peine onze heures quand la cloche d’entrée sonna. Je rangeai quelques papiers en dessous du comptoir et relevai la tête pour accueillir ma nouvelle cliente. Mais, quand nos regards se croisèrent, un léger frisson parcourut tout mon corps, et lorsque je baissai la tête quelques secondes, je sentis mes joues s’empourprer.
Je m’efforçai de contrôler cet étrange phénomène, mais au moment où je voulus parler, je me mis à bégayer. Elle sourit légèrement, colorant légèrement ses fossettes délicates. Ses yeux se plissèrent un instant, puis s’ouvrirent, découvrant deux iris d’un vert profond. Elle arrangea d’un geste gracieux de la main une mèche de cheveux noirs et ses doigts glissèrent lentement le long de sa joue...
« Faites-vous des bracelets gravés ? » demanda-t-elle d’une voix douce.
Le son de sa voix mélodieuse me tira de mes pensées et je hochai brièvement la tête. Je quittai le comptoir et marchai jusqu’à la vitrine. Lorsque je me retournai, je la vis qui se tenait devant moi, les mains derrière le dos. Toute sa silhouette était finement dessinée, de ses épaules délicates à ses hanches légèrement marquées. Elle ne portait qu’une simple robe rouge et un pendentif en argent, mais tout semblait pouvoir la mettre en valeur. Lorsqu’elle me posa une question, je n’écoutai pas, ne pouvant détacher mon regard de ses lèvres exquises, et, quand je lui demandai de répéter elle émit un petit rire léger. Je réalisai alors qu’il fallait qu’elle n’achète rien. Je lui dis donc que je ne pourrai pas graver son nom aujourd’hui, et qu’il lui faudrait repasser dans quelques jours. Je notai son prénom : Magalie. Elle me remercia, sortit dans la rue et, jusqu’à ce qu’elle disparaisse, je regardai sa robe voler et j’écoutai le délicieux bruit de ses escarpins sur le pavé. Quand je baissai les stores de la boutique ce soir-là, ce fut son image que j’eus en tête, et lorsque je me mis au lit, ce fut encore elle qui accapara mes pensées. La seule chose que je voulais, c’était la revoir. Je savais qu’elle reviendrait dans quelques jours récupérer son bracelet et je n’en pouvais déjà plus d’attendre. Depuis, chaque jour, chaque heure me paraît interminable.

30 juin

Ce matin, un homme entra dans mon magasin. Je ne compris d’abord pas pourquoi un homme voudrait s’acheter un bijou, puis, lorsqu’il s’arrêta devant la vitrine « Alliances » je levai les yeux au ciel, et poussai un soupir silencieux. Il resta immobile à contempler les bagues les unes après les autres. Je ressentis quelque chose d’inhabituel.
Cet homme, tout simplement vêtu d’un costume bleu marine, me rendait mal à l’aise. Je réalisai soudain, que j’allais aussi ruiner sa vie et son bonheur. A ce moment, je me sentis faible et vulnérable, comme un peu plus sensible. L’homme me tira de mes pensées et, lorsque je vis le regard rempli d’amour avec lequel il regardait l’alliance qu’il avait choisie, mes lèvres se resserrèrent, mes traits se durcirent à nouveau et je dis d’une voix froide :
« - Puis-je vous aider ?
- Oui, me répondit-il doucement, j’aimerais acheter cette bague, et y graver quelques mots. »
Il avait choisi une alliance fine, surmontée d’un diamant rose, taillé finement, qui brillait d’un éclat délicat. J’emmenai la bague sur une table pour la graver et il me dicta amoureusement ces mots : « A toi que j’aimerai toujours ». Je formai rageusement chaque lettre sur le métal glacé, contenant ma haine débordante devant tant d’amour. J’aurais voulu lui dire qu’il perdait son temps et son énergie, qu’elle finirait par le trahir comme toutes les femmes. Mais au lieu de cela, je lui souris faussement, lui montrant le travail achevé. Il hocha la tête, satisfait. Comme à mon habitude, je passai dans l’arrière boutique, trempai l’alliance dans le bac de liquide, la séchai et l’emballai. Une fois qu’il eut quitté le magasin, je retournai à ma table où je continuai à graver, d’une main tremblante : « Magalie, je t’aime » sur un bracelet en or. Mon cœur m’embêtait, battant la chamade sous ma chemise trempée de sueur. Maintes fois je lui ordonnais de se calmer, mais il ne m’écoutait pas, et il continuait à cogner contre ma poitrine tremblante. N’en pouvant plus, je frappai violemment des poings contre la table, me coupant la peau avec les instruments de gravures. Un cri m’échappa et je m’affalai par terre, la tête entre les mains, le sang se mêlant aux larmes. Quel était ce nouveau sentiment incontrôlable ? De la haine ?
Je n’en savais rien, mais au moment où le mot « amour » me traversa la tête, je poussai un hurlement de désespoir . Ce soir, je n’ai pas réussi à dormir tant son image m’obsédait. Chaque fois que mes paupières se fermaient, je pouvais voir ses lèvres pulpeuses, ses joues tendres, ses hanches délicieuses… Chacun de mes souvenirs me dictait une lettre, et au moment où je sombrai dans le sommeil, le mot « Amoureux » s’était imprimé sur l’écran noir de mes paupières.

4 juillet

Cela faisait cinq jours que je n’avais pas eu de clientes. Mais, quand j’entendis la cloche tinter ce matin et m’apprêtais à sortir un de ces sourires artificiels, mes lèvres restèrent entrouvertes. Un escarpin verni que je connaissais bien franchit le seuil de mon magasin, suivi par le deuxième. Mes yeux détaillèrent chaque morceau de cette fabuleuse apparition. Cette fois-ci, Magalie avait revêtue une jupe verte assortie à ses yeux pétillants. Son haut était délicatement décolleté et laissait apercevoir une poitrine que je m’interdis de regarder. Ses lèvres s’étirèrent pour former un sourire captivant, tandis qu’elle s’avançait vers moi, se déhanchant légèrement :
« Avez-vous terminé mon bracelet ? » demanda-t-elle d’une voix fluide.
Ma gorge se noua et je hochai la tête, incapable de dire le moindre mot. Je déglutis difficilement, et réussit à bégayer :
« Je… je vais vous le… cher… cher. »
Elle sourit de nouveau, et je partis en arrière boutique prendre le bracelet gravé. Je regardai l’inscription : « Magalie, je t’aime », j’inspirai un grand coup, et je retournai vers ma cliente.
Je regardai Magalie encore une fois, et en lui tendant le bracelet, je prononçai :
« J’espère que cela vous conviendra… Magalie. »
Elle me sourit puis regarda le bracelet. Son sourire sombra soudain, et le bracelet lui échappa des mains et tomba par terre. Son teint vira au blanc et elle porta ses mains à sa gorge sans arriver à émettre un son. D’abord immobilisé, je perdis totalement mes moyens lorsqu’elle tomba par terre, ses doigts crispés sur sa poitrine haletante. Je la secouai et criai son nom, désespéré. Une main agrippa soudain mon bras, et elle me tira jusqu’à ses lèvres frissonnantes. Au moment où mon oreille allait les toucher, elle murmura dans un dernier spasme :
- Mo… oi… auss… aussi…


Son souffle effleura une dernière fois ma joue, et sa main retomba lourdement par terre. Le visage ruisselant de larmes, je lui saisis la main et la posai sur mon cœur. C’est à ce moment seulement que je sentis un objet dur. Je regardai sa main de plus près et découvris une chose qui m’horrifia : elle portait une bague à l’annulaire. Mais pas n’importe quelle bague. C’était une bague ornée d’un diamant rose, taillé finement, qui brillait d’un éclat délicat, à l’intérieur de laquelle était gravé : « A toi que j’aimerai toujours ». Je fus pris d’une rage incontrôlable contre moi-même, et, une dernière idée vicieuse me vint à l’esprit. Je me levai et allai chercher une chaîne d'argent que je trempai abondamment dans ce fameux liquide visqueux. Je la laissai suffisamment longtemps pour que les effets soient presque immédiats. Je la sortis ensuite, et j’attachai avec nos deux poignets. C’est sans doute la dernière phrase que j’écris car je commence à sentir mes veines se resserrer et…



Le commissaire Styvet ferma le livre qu’il tenait, et passa ses doigts sur les lettres de la couverture : « Journal intime ».

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